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Le post-traitement en photographie : un débat sans fin?

La retouche photo a toujours été et est encore perçue comme une modification de la réalité : La propagande soviétique des années 1940 mentait sur les personnes présentes sur la photo, la peau retouchée des mannequins de magazines donne l’illusion de la perfection et les paysages somptueux des comptes Instagram semblent tout droit venus d’une autre planète.

Mais ces exemples flagrants font oublier le quotidien des photographes professionnels et la nécessité de la retouche : ajuster la luminosité et le contraste d’une photo, appliquer sa signature, gérer les couleurs.

Petit tour d’horizon de la retouche photo et des parties impliquées dans le débat.

Le sujet épineux de la retouche photo

On a souvent tendance à associer le post-traitement à la révolution de la photographie numérique.

Et pourtant, loin des Photoshop et autres Lightroom, la retouche photo a une histoire aussi longue que la photographie elle-même.

Le débat est à brûle-pourpoint depuis désormais plus d’un siècle, et les camps en présence sont bien délimités : d’un côté, les pragmatiques considèrent qu’une photographie est avant tout une image de la réalité et qu’en tant qu’image, elle mérite d’être bonifiée ; de l’autre, les « puristes » de la photo défendent la ligne dure de l’arrêt sur image de la réalité, son effet « authentique », et décrédibilisent la retouche, perçue comme une injustifiable altération.

En 1872 déjà, Henry Hunt Snelling assénait dans The Philadelphia Reporter : « Qui ne peut pas produire un négatif aussi qualitatif qu’une photo retouchée ne mérite pas d’être appelé un photographe ».

Exposition de photos en noir et blanc par Brigitte Schneiter via Unsplash

Le développement du négatif : une affaire subjective ?

L’un des rares sujets sur lequel tout le monde s’accorde cependant, c’est que le développement de négatifs est toujours l’affaire de choix dans les contrastes et la luminosité, ou dans la sélection d’un papier spécifique.

Ansel Adams ne disait-il pas du négatif qu’il est « comme une partition musicale : on peut jouer les mêmes notes de manières complètement différentes » ?

Mais au-delà de la nécessaire manipulation du négatif, on a toujours retrouvé de véritables modifications, et ce dès la création de la photo argentique : armé de crayons, pointes, lames, papiers et d’une bonne lentille, on peut faire apparaître ou disparaître des personnages entiers ou leurs caractéristiques physiques, mettre en évidence une portion précise d’une photo ou encore modifier l’angle d’une prise de vue.

La posture du photographe : une question de style

On pourrait se poser la question des fins qui poussent à la retouche : essaye-t-on de vendre un produit (dans un sens mercantile ou philosophique), auquel cas le spectateur se sentirait floué par un procédé visant à baisser sa garde ; ou cherche-t-on à être plus fidèle, à transmettre d’une manière plus exacte une vision, des sensations ?

La plupart des photographes ne cherchent-ils pas tout simplement à améliorer le rendu de leur photo, en en ôtant les poussières et en corrigeant la luminosité ? Quand on leur demande leur avis, ils souhaitent avant tout faire passer un message.

Une vision artistique du monde qui, pour retranscrire précisément ses émotions, passe par la photographie et ce qui l’accompagne indubitablement : la retouche photo.

Julien Hugo, photographe professionnel spécialisé dans l’accompagnement de mariages, définit ainsi le post-traitement sur son blog : le moyen d’apposer sa patte, de façonner un style propre qui souligne son savoir-faire et sa personnalité en tant que photographe professionnel. En somme : la retouche lui permet de définir son image de marque.

Photographie éditée de fumée orange sur fond bleu

De l’éthique de la retouche

Mais pour le spectateur, c’est une autre paire de manches. Si la nécessité de lifter certaines photos pour recentrer l’œil sur le sujet principal est comprise, certains y voient un débat idéologique, et idolâtrent les professionnels se montrant réticents à la retouche, chez qui ils retrouvent un refus de l’uniformisation et de la facilité — une petite pensée pour Peter Lindbergh ou encore Jade Beall. Que voit le spectateur lorsqu’il regarde une photographie, s’il sait au fond de lui que l’« image originelle » a pu être tout autre ? Reformulons la question : qu’est-ce qui fait qu’une photographie (et donc le photographe qui est derrière) est exceptionnelle, si elle a été modifiée pendant des heures sur un ordinateur dernier cri ? À l’arrière-plan de ces questionnements, on distingue l’essence même de la philosophie de la photographie : qu’est-ce qu’une photo, qu’est-ce qu’une bonne photo, qu’est-ce qu’un bon photographe ?

Pohotographie post-traitée d'un ciel plein d'étoiles

Finalement, qu’apporte la photo ?

Une posture objective, sans affect, dirait que l’image est par définition une distorsion de la réalité : elle est l’expression d’une personne qui, à travers un geste par essence artistique, souhaite figer un instant T à l’aide d’un médium (que celui-ci soit argentique ou numérique).

Si alors on considère que le développement de cette photo (ou sa projection sur un écran) fait partie intégrante de cette action, alors il n’y a plus de débat : l’image peut refléter la réalité mais elle ne peut pas devenir la réalité.

La réalité est donc captée, figée puis retouchée et post-développée. Et la retouche photo trouve naturellement sa place au sein de l’activité du photographe, que celui-ci soit amateur ou bien professionnel. 

Edition d'une photographie d'une femme sous une lumière jaune, prise par Nirav.

De la retouche à la création : la naissance d’une discipline nouvelle

Au-delà des retouches « nécessaires » (modification des couleurs, des tons, recadrage, etc.), comment considérer le post-développement lorsqu’une photo (ou plusieurs assemblées) sert de matière première pour la création d’une œuvre supérieure, où l’esthétisme prend le pas sur le réel ?

La naissance d’arts graphiques nouveaux — concomitante au développement de logiciels toujours plus compétents — semble avoir repoussé les frontières de la photographie.

Mais, au contraire, ne s’agit-il pas là de l’occasion d’en fixer précisément les limites, au jour où les photos ne sont plus que prétextes à des modifications illimitées ?
S’agit-il encore vraiment de photographies ?
Sur quels critères les distinguer ? Taux de dénaturation, aspect irréel, expression fantasmée ?

Un nouveau débat qui pourrait voir beaucoup de spectateurs se rallier aux réticents à la retouche… mais qui ne saurait oublier de laisser la place aux rêveurs et aux poètes. 

Photographie abstraite et modifiée d'un arbre en noir et blanc, prise par Michel Redon
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