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Photographie smartphone: une nouvelle obsession

La photographie fait partie de notre quotidien grâce aux smartphones qui ont été équipés de la fonction photo dans les années 2000 et qui n’a eu de cesse de se perfectionner devant son utilisation effrénée et à laquelle personne ne s’attendait vraiment.

Cette facilité à capturer des images a modifié profondément nos comportements. On pourrait même évoquer une addiction à l’image pour certaines générations. Une vingtaine d’années plus tard, notre attitude face à cet outil a provoqué de tels changements dans notre manière d’appréhender le monde que notre cerveau lui-même s’en est trouvé chahuté. Mais pourquoi avons-nous ce besoin si impératif de prendre autant de photos ? Ne faisons-nous donc plus confiance en nos souvenirs ? Quelles défenses peut-on mettre en place pour conjurer cette ivresse de la photo smartphone ? Comme tout excès, il y a nécessairement quelques bonnes pratiques à ne pas négliger pour rectifier le tir.

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Harrison Haines

Nouvel outil, nouvel advice

Smartphone greffé dans la main, nos agissements d’aujourd’hui sont en grande dépendance de ce téléphone. Il faut reconnaître que le terrain de jeu est immense et ne cesse d’être alimenté par des innovations toujours plus performantes. Comment dès lors ne pas être séduit par cet objet qui nous fait regarder le monde avec une telle amplitude ? La qualité des images sans cesse améliorée de l’appareil photo intégré, l’armada d’applications liées à l’exploration et la transformation des photos sont toutes aussi vertigineuses. C’est un monde complexe qui ne cesse de repousser les limites de la réalité : offrir une incroyable netteté à de vieilles images, supprimer un élément disgracieux dans une photo, ajouter une lumière ensoleillée au ciel d’orage, supprimer les rides, arrondir un visage, nous sommes des apprentis sorciers et on adore ça !

La photographie est devenue aujourd’hui aussi indispensable que le stylo dans son sac. Un accrochage en voiture, une pièce à changer de la cafetière, les bougies soufflées par sa filleule, les premières neiges du jardin, les dégâts causés par une tempête, la recette dénichée dans un magazine, un clic, c’est enregistré et conservé comme un aide-mémoire. Une étude américaine confirme ce nouveau comportement face à la photographie : les Américains prennent plus de 10 milliards de photos par mois et 60 % d’entre elles le sont par des smartphones ! La photographie a pris une nouvelle dimension très éloignée de la photo rare, travaillée et pensée d’un artiste. Elle est devenue notre pense-bête.

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Mika Baumeister

Mais cette utilisation excessive ne nous fait-elle pas déraper parfois ? Impossible aujourd’hui d’approcher le tableau de La Joconde au Musée du Louvre ou d’apprécier le déhanchement de Mike Jagger en concert sans la forêt de smartphones levés à bout de bras.

Que s’est-il passé ? Ne faisons-nous plus confiance à notre regard pour immortaliser l’instant ? L’image compte-t-elle remplacer nos souvenirs ? Est-elle devenue une « béquille » pour notre mémoire ? Avons-nous vraiment besoin de se reposer sur cet un objet transitionnel qu’est le smartphone ? A force de compter sur la photo, de se décharger totalement sur elle, notre mémoire n’est-elle pas en train de vaciller ?

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Hoch3media

Ce qu'en pense la philosophie

Le philosophe français Raphaël Enthoven s’est penché sur cette question. Il prend l’exemple de la photo qui immortalise le panier de la star du basket, LeBron James : ce moment où il devient le plus grand marqueur de la NBA. À l’arrière-plan de la photo, le visage de toutes les personnes dans le public est masqué par le smartphone qu’ils tiennent à bout de bras pour capturer ce moment crucial.

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Andrew D. Bernstein/NBAE/Getty Images

 » C’est un moment sportif extraordinaire, explique Raphaël Enthoven, et les spectateurs sacrifient l’expérience qu’ils pourraient faire de ce moment historique, à la possibilité de dire qu’ils étaient là. C’est à la fois une manière de mettre le monde à distance car en le photographiant on se tient loin de lui, et c’est aussi le fait de confier à un objet le soin de s’en souvenir à notre place. »
En interposant le téléphone portable entre lui-même et le match, le public se prive ainsi de vivre pleinement cet instant, le souvenir passant en priorité. C’est un véritable déni du présent. On préfère filmer le panier plutôt que de l’applaudir.

Ça laisse apparaître également un autre enjeu de taille : le fait que dans la vie, il est plus difficile de vivre les choses que de se faire filmer en train de les vivre. Le danger est là : si on se regarde faire, alors on perd la main sur ce que l’on fait. Prendre un selfie entouré d’un décor sublime ou au côté d’une star de K-Pop est un handicap à l’action. Seul l’oubli de soi permet d’agir, de savourer et de se nourrir de l’instant car on est tout entier à ce que l’on fait. « Quand je danse, je danse et quand je dors, je dors » écrivait le philosophe et humaniste Montaigne. Le selfie est donc à l’inverse de ce comportement.

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Austin Loveing

Que dit la science ?

Les études scientifiques vont plus loin. Elles s’accordent à dire que lorsqu’on fait appel à un
objet transitionnel comme le smartphone pour capter un événement et lui confier nos souvenirs, la mémoire finit par se détériorer.

Notre obsession pour une consommation élevée de la photographie peut altérer précisément toute réminiscence. Perdre sa qualité de regard, la capacité à imprimer à l’intérieur de soi l’intensité d’un moment ou d’une information à retenir. La neuropsychologue de l’Université de Westminster, Catherine Loveday, explique qu’il a été prouvé que le fait de prendre des photos à un événement au lieu de s’y immerger totalement peut mener à une incapacité de se souvenir de l’événement en lui-même. Prendre des photos nous distrait véritablement du processus de mémorisation.
La problématique est également valable pour les selfies pris à tout bout de champ, caractérisés par des portraits manquant terriblement de spontanéité, artificiels dans les expressions. Ces photos au narcissisme anti-naturel entendent montrer ce que l’on veut bien montrer de soi mais pas qui nous sommes réellement, comme l’explique, Giuliana Mazzoni, Professeur de psychologie à l’Université de Hull (UK) et cela va même au-delà: « Si nous comptons énormément sur les photos pour nous rappeler notre passé, nous risquons de créer une vision de nous-même déformée, fondée sur les seules images que nous voulons partager« .

« Si nous comptons énormément sur les photos pour nous rappeler notre passé, nous risquons de créer une vision de nous-même déformée, fondée sur les seules images que nous voulons partager.« 

Giuliana Mazzoni

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Andrea Piacquadio

Photos réceptacles de nos souvenirs

Une fois ces constats philosophiques et scientifiques posés sur la table, il est important de comprendre que si nous ne pouvons revenir en arrière, ré-embobiner les innovations, il est capital de trouver les éléments clefs qui vont nous permettre de profiter des technologies performantes sans altérer nos capacités cognitives.

S’il est vrai que lorsque nous prenons une photo, notre cerveau prête moins d’attention à enregistrer les événements comme s’il déléguait de manière inconsciente la photographie à la mémoire; à l’inverse, regarder par exemple d’anciennes photos de voyages ou de nos enfants en bas âge, ravive les souvenirs instantanément. C’est ce le constat de Claudia Zimmer, co-fondatrice avec Matthieu Kopp et Thomas Ribreau, de CYME :  » Quand je revois certaines photos prises par inadvertance, j’ai le sentiment que je n’ai pas vécu ce moment-là aussi fort que j’aurai pu, et ces photos retrouvées aujourd’hui me permettent de le faire, de savourer encore mieux ce moment, de renouer avec un passé que j’avais totalement oublié. Moi qui n’ai pas autant de mémoire que Matthieu, je reconnais la formidable utilité d’un smartphone pour ces moments de vie très émouvants qui m’avaient échappé. » Saluons le pouvoir mystérieux et un peu psycho-magique de l’image qui, eux, sont aussi bien réels.

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Kuntal Biswas

Royaume de la mémoire immatérielle

Dans la décennie précédente, les albums photos constituaient les empreintes de notre histoire personnelle et les retrouvailles chez les grands-parents donnaient souvent lieu à la consultation des albums photos rangés par année. Aujourd’hui, le smartphone aidé par « le cloud » (nuage immatériel de nos données) remplace ces recueils photographiques de famille physiques et indivisibles. La photo numérique nous libère des contingences, permet la duplication des originaux, le traitement, le partage, l’envoi et le stockage de toutes nos images.

« En fait, résume Raphaël Enthoven, on photographie les personnes, les lieux ou les événements pour être certain, non pas de ne pas les oublier mais pour être certains de pouvoir les oublier puisque ces images seront quelque part. » Ce « quelque part » cité par le philosophe mérite attention car il ressemble parfois à un véritable trou noir. Une fois les photographies réalisées, elles sont automatiquement sauvegardées sur votre smartphone ou sur le cloud (si vous possédez un abonnement à celui-ci). Si nous sommes rassurés par cette mémoire virtuelle XXL qui compile notre vie, combien d’entre nous consultent réellement cette banque d’images personnelles qui contient parfois plus de 50 000 photos ?

« On photographie les personnes, les lieux ou les événements pour être certain, non pas de ne pas les oublier mais pour être certains de pouvoir les oublier puisque ces images seront quelque part.« 

Raphaël Enthoven

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Seule porte d'accès : raviver son catalogue

Qui regarde aujourd’hui les archives dans son smartphone ? Combien de temps scrollons-nous sur notre appareil pour retrouver une image en particulier ? C’est un capharnaüm d’images, une sorte de déversoir illustré où s’entrecroise les sujets les plus divers : ceux qui nous tiennent à cœur avec la liste de courses d’avant-hier ou la paire de chaussures que l’on envoie à sa meilleure amie. Comment ordonner cette boulimie visuelle ? Peut-on la mettre au pas afin qu’elle se révèle réellement efficace ?

C’est avec cette problématique en tête que Claudia Zimmer,  Matthieu Kopp et Thomas Ribreau ont imaginé des solutions logicielles pour retrouver le plaisir d’explorer nos photos. Citons l’application Peakto, boostée par l’intervention de l’intelligence artificielle, compatible avec d’autres applications comme Lightroom, Luminar, Capture ONE, DxO, Pixelmator et bien d’autres, … qui rassemble en un seul catalogue toutes nos images même de formats différents, qui les classe, supprime les doublons, range les originaux et ses différentes versions et permet de retrouver aisément les photos recherchées.

FindMySnap Image, la dernière-née, également pimpée par l’IA, qui aide à trouver rapidement nos images préférées juste en les décrivant, permet de partager rapidement nos photos, de créer des albums, de supprimer aussi les doublons et les indésirables, de choisir celles que l’on souhaite éditer. Cette app plutôt malicieuse nous propose de nous challenger en créant des collections selon une couleur ou des personnages, de partager facilement avec nos amis nos prises de vues les plus réussies sur les réseaux sociaux. Bref ! Au lieu de laisser nos images se morfondent dans un trou noir sans accès, une autre vie s’offre à elles.

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Offrir FindMySnap via l’app store, c’est possible !05

Abstinence photographique

Après un rangement de son stock d’images, digne des vidéos de Marie Kondo, une autre suggestion face à cette déferlante photographique est de s’abstenir de gré … ou de force !
On peut, en effet, décidé d’utiliser sa fonction photo de manière mesurée, appliquée même, comme à l’époque de l’achat onéreux des bobines de films argentiques où chaque photo était pesée et pensée. On peut aussi effacer les photos obsolètes ou sans intérêt très régulièrement afin de ne pas charger votre catalogue inutilement (les salles d’attente sont parfaites pour ce genre d’exercice).

Ne pas utiliser son appareil photo par obligation : certains artistes refusent aujourd’hui photos et selfies sur leurs lieux d’exposition ou de spectacles. Les raisons sont multiples et souvent justifiées, comme celles de ne pas faire circuler des photos de mauvaise qualité d’une œuvre, l’artiste souhaitant avoir la maîtrise de la reproduction de son travail.

Et puis il y a cette injonction bienveillante de nous demander une abstinence photographique afin de retrouver le chemin du regard et de sa mémoire. À l’instar de l’architecte Tadao Ando, sur l’île de Naoshima, qui interdit aux visiteurs de prendre des photos pour mieux les immerger dans son univers et leur faire vivre une expérience. Ou comme le sculpteur Anselm Kieffer qui, dans ses ateliers de création, affirme cette volonté de renouer avec l’émotion que suscite l’œuvre et le souvenir qui restera gravé dans nos souvenirs. Ces artistes nous invitent à passer du temps à simplement regarder. Les monuments iconiques invitent désormais à prendre le temps de les regarder plutôt que de les photographier. En Italie, la Chapelle Sixtine au Vatican, la Basilique Saint-Marc de Venise ou le David de Michel-Ange refusent d’être mitraillés. Au Royaume Uni, l’abbaye de Westminster et la Tour de Londres n’échappent pas à cette règle. Même le lac Tahoe aux États-Unis interdit toute photo et surtout les selfies devant la dangerosité des poses périlleuses.

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Zac Ong

La bonne attitude

Alors quelle est la bonne attitude à adopter ? Prendre le temps de faire des photographies : que celles-ci soient l’occasion de s’arrêter et de s’imprégner totalement d’un lieu, d’une ambiance ou d’une personne. Regarder plus souvent nos photos et surtout les partager. Regarder les images est une manière de renforcer et consolider nos souvenirs et nous rappeler les histoires inscrites derrière chaque image. Remettre la photo à sa juste place, lui donner des limites, c’est aussi nous faire le cadeau de renouer avec les émotions gravées dans notre souvenir. Laisser le mystérieux réapparaître et raconter aux autres l’émotion ressentie lors d’une rencontre ou d’une exposition au lieu de montrer un fichier ou une image en 2D. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?

Mention:

Brut – Interview avec Raphaël Enthoven

Eric Leser – Slate.fr – L’obession de la photographie menace nos souvenirs

Anne-Marie Hamel – « La photographie documentaire comme aide-mémoire de l’identité féminine américaine (1920-1960) » Mémoire. – Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal.

Giuliana Mazzoni –  The Conversation – Our obsession about taking photography

Giuliana Mazzoni – The Conversation – L’obsession de prendre des photos change notre manière de nous souvenirs

Catherine Loveday – Neuropsychologist at the University of Westminster

Photos:

Andrea Piacquadio; Austin loveing; Harrison Haines; Hoch3media; Mika Baumeister; Sami Abdullah (main picture); Zac Ong

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