Au contraire de la photographie posée qui nécessite du temps ou une mise en scène préalable, la photographie qui capte l’instant « à la volée » est un processus qui s’exprime toujours dans l’immédiateté. C’est celle qui saisit une situation en un fragment de temps, une vérité de l’apparition. Et son caractère unique et authentique lui sera toujours intrinsèquement lié malgré le fait qu’elle puisse être ultérieurement retouchée, recadrée à travers le jeu des applications présentes dans l’édition digitale d’aujourd’hui.
« Prendre sur le vif »
Voilà également un terme qui exprime le mieux la capture de ce temps singulier.
Saisir ce qui ne se reproduira plus, sorte de témoignage « hors temps », empreinte furtive, « l’instant décisif » de Cartier Bresson. Le plus important, c’est de véritablement « harponner » cet instant et pour l’amateur, peu importe la qualité photographique : netteté, cadrage, exposition ou qualité du point de fuite, seule la capture d’un élément clef compte et devient l’affirmation éclatante d’un point de vue, le sien.
Une photo = un point de vue ?
L’appréciation du caractère unique et original de la photographie est renforcée par le fait qu’elle provient d’un regard, celui d’une seule personne. Une transposition intime d’un portrait, d’un paysage ou d’une scène, à l’image des étudiants des beaux-arts aux chevalets alignés qui esquissent leur propre approche d’un même modèle. En fin de séance de pose : autant de dessins différents que de regards distincts. L’idée d’une photo originelle et non réplicable fait donc son chemin.
L’intention forcément personnelle d’une prise de vue ?
Si les photographes professionnels ont des impératifs précis et considèrent l’appareil photo comme un outil de travail, on peut se poser la question pour les amateurs. Qu’est-ce qui motive la capture d’images, de charrier avec soi un matériel parfois très lourd pour photographier au final un goûter d’enfants, l’ascension d’un sommet entre potes ou notre conjoint attablé dans une maison de thé à l’autre bout du monde ?
Que racontent ces clichés de nous-même ?
Garry Winogrand (1928-1984), photographe expérimental, évoquait non sans humour son propre regard en disant : « c’est ce à quoi ressemble le monde une fois photographié ».
N’avons-nous pas nous aussi une volonté de « figer », de s’inscrire à tout prix dans la société dans laquelle nous œuvrons et de l’afficher afin de prouver aux autres que l’on participe pleinement au processus ?
Nos photos deviennent tout à coup des témoignages irréfutables et deviendront même des jalons qui vont permettre de relater et transmettre notre propre histoire personnelle.
La photographie : une dimension émotionnelle de notre vie?
La photographie, véritable fil d’Ariane
C’est la somme de toutes cette multitude de « points de vue » qui vont, au final, relater, tracer, construire la trame de notre vie. Celle que l’on évoque, celle que l’on transmet. Ces images vont constituer le fil entre les générations, entre les ascendants et les descendants. Qu’elles soient jetées en vrac dans une boite à chaussure, soigneusement étiquetées dans des albums ou stockées sur nos disques durs, la photographie tient une place formidable et même essentielle dans chaque famille pour la compréhension d’une époque et des destins croisés.
Déclinaisons satellites
L’image matérialise le bonheur et provoque le partage. Les outils de l’édition photographique aujourd’hui permettent à la photo un voyage à la fois dans le temps et dans la qualité : avec la possibilité de « rafraîchir » la photo originelle, de la recoloriser, la recadrer, lui offrir une plus grande netteté grâce aux logiciels dédiés.
Ce moment de grâce saisi au vol à l’origine, cette « matrice » photographique unique peut se décliner à l’envie et selon les rêveries de chacun. Et même si l’image est triturée, modifiée dans son format, exporter dans un autre fichier ou compresser, elle sera toujours issue de cet unique « coup d’œil immanent et transperçant » qu’évoque Cartier Bresson, la « source » en quelque sorte de toutes ces déclinaisons, à laquelle il sera toujours possible de revenir à tout moment.
Symbolique de l’instant
La photographie possède ce pouvoir étonnant de figer une fraction de seconde pour l’éternité. Ce que l’œil ne pourrait apercevoir, la photographie nous donne à le voir. Introspection très intime d’une scène. Hors temps qui permet parfois un décryptage passionnant de ce qui est invisible à l’œil nu. Un mystère qui n’offre pas toujours de résolution, comme le regard d’Antonin Artaud insondable, intense et qui nous interroge encore aujourd’hui. L’image peut éclairer ou nous renvoyer dans une réflexion.
« A mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n’avez pas pris une photographie »
La photo du « j’y étais »
On ne fait bien les choses que par soi-même, on ne voit bien les choses que quand
on les photographie soi-même. Contrairement aux reproductions proposées dans le commerce, ma photographie possède exactement le cadrage souhaité et entend souligner comme je l’entends un moment clef de ma vie. Il semble donc que renoncer à l’achat d’une carte postale dans un lieu touristique et opter pour sa propre interprétation, même imparfaite, a toujours plus de valeur à nos yeux car elle témoigne de notre présence.
On pourrait évoquer là une stratégie de l’ajustement de soi au monde et non l’inverse : photographier la Tour de Pise avec sa compagne en premier plan, faire un selfie familial au pied des pyramides égyptiennes rend plus « humain », moins « extérieur » et plus accessible ces monuments d’exception connus du monde entier. Ils sont présents dans la photographie mais pas de manière majeure. A travers notre regard, ces lieux mythiques s’invitent dans notre vie et non l’inverse.
La photo numérique, révélateur instantané de notre mémoire
Les outils que proposent la photographie numérique aujourd’hui viennent servir notre réflexion. Le stockage exceptionnel des photos dans un iPhone, une tablette ou un ordinateur permet en quelques clics de remonter le temps. Jour, mois, année, tout se déroule sous nos yeux et ravive à notre mémoire des détails oubliés. Cette remontée temporelle à portée de main est tout simplement vertigineuse car cette supra mémoire digitale vient compléter, rectifier et raviver la nôtre de manière infaillible. Les instants photographiques au fil de notre vie sont à l’image des petits cailloux blancs déposés sur le chemin. Ils constituent notre banque de donnée virtuelle de notre vie.
Crédit Photos: Loli Galina, Joris Delacour, Laura Ockel, Cartier Bresson.
