Tremblements de terre, tornades, inondations, fontes des glaciers, disparition des grands fauves, du corail, des oiseaux et des abeilles, sècheresses, déchets, gaspillages, famines, eaux contaminées, pollution des mers, migrations des populations, déforestation, épuisements des ressources naturelles, … La liste des bouleversements dans la nature s’allonge d’année en année. Les effets du changement climatique ou de l’activité humaine se démultiplient sur la planète, ils se propagent comme une onde de choc, une déferlante de plus en plus puissante, si difficile à enrayer voire impossible à contenir tant que notre prise de conscience et notre manière de vivre dans la société moderne ne seront pas profondément transformées.
Depuis le début du siècle dernier, les lanceurs d’alerte se sont manifestés. Écrivains, botanistes, zoologistes, géographes, écolière, aventuriers, marins, alpinistes, ingénieurs, documentaristes, photographes, tous ceux qui parcourent le monde, qui s’infiltrent dans les villes comme dans les paysages silencieux, « les blancs de la carte » comme disait l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier, n’ont de cesse de témoigner, de sensibiliser, d’avertir et donner à voir ce qui se joue à la fois près de chez nous et loin de notre horizon. Les images, qu’elles soient filmées ou photographiées, recueillent en elles une multitude d’informations et leur observation directe est sans appel. Les stigmates, les blessures et les déséquilibres du monde s’affichent au grand jour.
Au travers de leurs images où la nature est défigurée où l’activité humaine dégrade sans complexe son environnement, ces photographes jouent donc un rôle fondamental dans la sensibilisation à l’écologie, la prise de conscience de l’état de la planète et l’incitation à s’engager pour la préservation de l’environnement. Chaque regard offre un prisme différent sur ce vaste sujet qu’est l’écologie : certains vont étudier l’état des lieux des premiers bouleversements, d’autres soulignent les conséquences ou tentent de comprendre les différents événements apparus sur terre, en mer, dans l’air ou dans l’atmosphère. Les plus optimistes préfèrent s’attarder sur les bonnes pratiques nées des chaos ou nous rappellent la dimension extraordinairement poétique de la nature afin de bien prendre soin d’elle. C’est une vision militante plurielle que nous propose ces chasseurs d’images engagés mais avec un seul et même leitmotiv : regarder pour que l’on ne puisse plus dire que l’on ne savait pas.
Sensibilisation aux enjeux environnementaux
En captant l’attention du public et en suscitant l’émotion, l’image est capable de transmettre une idée forte en une poignée de secondes. Les photos de zones dévastées par les incendies ou des plages jonchées de plastique interpellent immédiatement le public au problème de la dégradation environnementale.
Daniel Beltrá débute en tant que correspondant de presse et va, parallèlement à sa carrière de photojournaliste, entamer une collaboration avec Greenpeace dont il deviendra un de leur photographes attitrés. « J’ai toujours été fasciné par la nature et l’environnement fait partie de ma principale préoccupation « . Ce photographe espagnol s’est également concentré sur la déforestation de l’Amazonie. Ses images montrent l’ampleur de la destruction causée par l’exploitation forestière, l’agriculture et l’exploitation minière.
Depuis plus de 30 ans, Edward Burtynsky, photographe canadien, s’attache à montrer l’intrusion humaine dans l’équilibre écologique. Son travail se concentre sur l’impact de l’industrialisation sur la nature. Paysages métamorphosés par l’extraction de minéraux, l’agriculture industrielle, les cimetières des grands cargos, … La série « Désastreuses beautés » est d’une troublante esthétique : des prises de vues à si grande hauteur que les paysages défigurés se transforment en images poétiques. Cette ode cynique a le mérite de saisir le lecteur et de lui dévoiler l’étendue tragique et irréversible des dégâts causés par ces industries.
“Mon travail documente les systèmes à grande échelle qu’utilise l’homme pour contrôler et modifier notre environnement. Mais je me suis rendu compte que les vues depuis le sol ne pouvaient pas montrer l’ampleur de son activité. J’ai dû prendre de la hauteur pour voir et capturer plus largement.”
Biodiversité et Espèces Menacées
Impossible de parler écologie sans évoquer le travail des photographes naturalistes toujours en quête des espèces en voie de disparition de la faune ou de la flore. Des images généralement d’une saisissante beauté destinée à rappeler l’importance de protéger les habitats naturels et la biodiversité. Citons cinq d’entre eux, véritables lanceurs d’alerte et témoins en première ligne des dérèglements du monde.
Paul Nicklen, photographe naturaliste et biologiste canadien qui a grandi dans une communauté Inuit. Il travaille aujourd’hui pour le magazine National Geographic. Devenu un grand défenseur des fonds marins, il est spécialisé des régions polaires et a été souvent primé pour la qualité exceptionnelle de ses vues sur les paysages de glace qui disparaissent peu à peu. « Un poignant appel à l’action » conclue-t-il.
Frans Lanting, photographe néerlandais plusieurs fois distingué par de nombreux prix pour ses travaux sur la faune sauvage, sur la fragilité des écosystèmes et des espèces menacées par l’activité humaine. Il publie régulièrement dans Life magazine et le National Geographic.
James Balog est un photographe américain qui s’attache depuis quarante ans à montrer l’impact dévastateur du changement climatique sur la terre et pour ses habitants, notamment pour son engagement concernant la fonte des glaciers et la montée du niveau de la mer.
Il crée en 2017 un programme, Extreme Ice Survey, en collaboration avec des scientifiques, afin d’explorer l’impact du changement climatique sur les glaciers. Ses photographies et vidéos donnent lieu à des images spectaculaires.
Sean Gallagher, ce photographe réalisateur britannique, installé en Chine, s’est penché sur les problèmes environnementaux et sociaux en Asie : typhons en Chine, feux de forêts au Cambodge, relations conflictuelles entre la population du Sri Lanka et le territoire des éléphants pour l’implantation de plantations de thé ou encore sur la désertification de certaines régions en Chine due à la sècheresse.
Mattias Klum est un célèbre photographe-réalisateur naturaliste suédois qui n’a cessé de parcourir le monde pour sensibiliser, alerter sur les dégâts infligés à la nature par le réchauffement climatique. Son travail est régulièrement exposé, publié dans le National Geographic et édité.
Les conséquences de la pollution
Décharges à ciel ouvert, animaux marins emprisonnés dans les filets, détritus plastiques dérivants, … sont des exemples puissants de l’impact de la consommation humaine sur la planète. Ces scènes de pollution des océans, des rivières ou de l’air, souvent ignorées par les médias traditionnels ont véritablement pour but de susciter une prise de conscience sur la nécessité de réduire notre production de déchets.
Là encore, certains photographes ont pris le parti de traiter cet aspect différemment pour évoquer les problèmes liés à l’environnement mais c’est un même cri d’alarme qui nous renvoie honteusement à notre manière de consommer.
Nous avons tous en mémoire cette image de poussin albatros échoué sur la plage dont l’estomac n’est rempli que de petits objets plastiques. Cette photo choc a modifié notre perception sur l’urgence écologique. Le travail de Chris Jordan comme on peut le voir est cash, sans concession. Il s’attache essentiellement à souligner l’ampleur de la pollution plastique et la manière dont elle affecte directement la vie marine.
Benjamin Von Wong, est plus artiste que photographe. Il se détourne de la vision angoissante de la pollution plastique qui envahit terres et océans pour imaginer un récit sorti tout droit de l’univers fantasy. Cet activiste conçoit des images pour qu’elles soient inoubliables. Il scénarise, élabore ses prises de vues comme un vrai photographe de mode en studio. Sirènes, personnages fantastiques, famille version Mad Max, bestiaire imaginaire, tous ses personnages sont habillés en déchets plastiques ou sont entourés de paysages apocalyptiques. Une interprétation de l’urgence écologique à la fois singulière et légère.
Gideon Mendel est un artiste sud-africain qui met l’accent sur une des conséquences majeures du changement climatique : les inondations. Il renonce à ses prises de vues en zones polaires, trop lointaines de nos préoccupations quotidiennes, pas assez impactantes pour une véritable prise de conscience, et infléchit sa vision vers les individus touchés en première ligne. Il réalise une série de portraits submergés, Drowning World, de toutes celles et ceux sur la planète qui ont été confrontés à ces crues ravageuses et qui sont non seulement frappés par la brutalité de la catastrophe mais surtout dans l’intimité de leur maison, lieu de sécurité par excellence. Ce travail a été récompensé de nombreuses fois dont le Jackson Pollock Prize for Creativity en 2016.
Le changement climatique
Comme l’expliquait précédemment Gideon Mendel, les images d’ours faméliques sur la banquise polaire ne réveillent pas nécessairement les consciences sur l’urgence climatique. Le syndrome NIMBY (Not In My Back Yard) joue peut-être là encore. Certains photographes ont donc entrepris un travail qui rend compte du changement dans la vie des communautés qui bouscule à tout jamais le quotidien de manière récurrente ou irréversible.
C’est le cas de la photographe Lisa Murray qui a décidé volontairement de concentrer son travail sur les personnes touchées directement par le changement climatique et c’est pour elle une véritable croisade contre les climato-sceptiques. Lisa Murray sillonne alors les pays d’Asie, mais aussi l’Inde, l’Éthiopie, le Soudan ou le Kenya et prend le temps de rester auprès des populations locales afin de saisir leurs problématiques.
En partenariat avec diverses organisations comme la Rockefeller Foundation ou Oxfam, elle témoigne de ce que vivent certaines personnes, « pour parler du nombre incroyable de gens qui souffrent« . En vrai militante, elle crée un blog « Faces of Change » pour montrer de manière directe les effets du changement climatique.
John Novis est un photographe et un conteur qui travaille sur les questions environnementales, en particulier sur le changement climatique depuis 30 ans. C’est selon lui la plus grande menace mondiale jamais connue par l’humanité, et pourtant c’est le sujet le plus difficile à visualiser de manière efficace. Toute image présentée, qu’il s’agisse de phénomènes météorologiques extrêmes, de preuves scientifiques ou de protestations mondiales, peut être contestée par des médias, des gouvernements et des entreprises sceptiques. C’est précisément ce défi qui pousse des photographes comme John Novis à devenir de vrais activistes et envisager des photos toujours plus créatives. « Greta Thunberg, Greenpeace, Extinction Rebellion, concourent à la diffusion des images sans parler des médias sociaux qui fournissent une plate-forme précieuse pour le journalisme citoyen et permet de rendre compte des événements liés au climat en temps réel.«
Promotion de l’écologie positive
La photographie peut également promouvoir des actions positives en faveur de l’environnement. Des images de projets de reforestation, d’agriculture durable, d’initiatives de recyclage ou même de production d’énergie renouvelable, tout ceci souligne le dynamisme créatif quant aux solutions envisagées ou proposées face aux problèmes écologiques actuels. Indéniablement ce type de photographie permet de nous encourager à adopter des comportements respectueux de l’environnement et à participer à des initiatives écologiques.
Difficile de ne pas saluer un des projets majeurs entrepris par le célèbre photographe franco-brésilien Sebastião Salgado en marge de son travail photographique. Après avoir témoigné à l’aide de ses boîtiers et publiés de nombreux ouvrages sans concession sur les minorités ou la pauvreté, il est aussi très sensibilisé aux dangers de l’activité humaine, notamment sur sa terre natale, comme l’exploitation forestière illicite, l’orpaillage, la construction de barrages hydrauliques, l’élevage de bétail, la culture du soja. Il décide, voilà 30 ans avec sa femme de s’investir dans une action de reforestation de grande envergure et créé l’Instituto Terra.
La forêt atlantique du Brésil (mata atlantica) est la région verdoyante dans laquelle le père du photographe avait une ferme d’élevage. Cette terre était devenue infertile et brûlée. Ils ont alors l’idée de redonner vie à ce paysage désolé de 550 hectares en replantant pas moins de 2,7 millions d’arbres.
En 17 ans, la faune sauvage s’est réappropriée le territoire : pas moins de 172 espèces d’oiseaux, 16 espèces d’amphibiens, 15 espèces de reptiles et 33 espèces de mammifères dont 7 sont en voie d’extinction mondiale. Aujourd’hui, l’Instituto Terra espère dupliquer cette renaissance à 1500 autres hectares de la forêt et vient d’entamer en concertation avec les propriétaires voisins une action d’envergure pour rechercher et protéger les quelque 300 000 sources en provenance du Rio Doce. Magnifique exemple d’une écologie positive.
Art et Activisme visuel
Certains photographes utilisent aussi leur art pour faire passer un message fort à travers des campagnes ou des installations. Caroline Cheng, photographe canadienne, est connue pour ses images artistiques de déchets plastiques qui forment des compositions visuellement marquantes et qui illustrent l’impact de la consommation sur la nature. Ce type d’art éveille une conscience environnementale à travers l’émotion et la créativité. En utilisant le paysage comme support plutôt que comme sujet, elle s’efforce d’attirer l’attention sur les formes picturales, les motifs et les couleurs vives d’un paysage inimaginable depuis le sol. Elle supprime toute notion d’échelle.
Vilde Rolfsen est une artiste norvégienne qui utilise les sacs plastiques pour réinterpréter la nature la plus sauvage. Elle compose, sculpte, des massifs, des abîmes, des grottes ou des glaces en photographiant les sacs plastiques de l’intérieur. Des paysages un peu inquiétants aux couleurs délavées et abandonnés par l’homme. Plastic Bag Landscapes lui permet ainsi de sensibiliser afin de limiter l’impact de la surconsommation de plastique sur notre planète.
Expositions et campagnes de sensibilisation
Photographier, publier, diffuser, exposer, cela signifie sensibiliser, bousculer, interroger, alerter et provoquer des comportements différents afin de rompre avec nos vieilles habitudes. La photographie qui porte en elle un message est constructive car elle fait bouger les lignes. Les installations, les éditions collectives, les documentaires en vidéo, toute forme de créations est bonne à prendre pour susciter des changements d’attitudes, éduquer l’ancienne génération et embarquer la nouvelle, déjà active et responsable face à l’environnement.
La photographie naturaliste de Giancarlo Gallinoro, biologiste de formation, est attiré depuis toujours par les zones polaires : Svalbard, Groenland, Antarctique. Son travail photographique et d’opérateur de prises de vues sous-tend sa volonté inoxydable d’informer, d’inspirer chacun de nous à agir pour la préservation. Les documentaires auxquels il a participé, « Hostile Planet» du National Geographic, « Terre dell’Orso » et « Aspettando la Neve » lui ont permis également de contribuer à une meilleure connaissance et nourrir sa volonté pédagogique.
Citons également « Climate Heroes » de Maxime Riché, un ouvrage qui relate l’histoire de 8 héros ordinaires qui ont entraîné avec eux des milliers d’autres pour préserver la planète. Un projet éditorial singulier qui est associé également à la création d’une ONG qui réunit des initiatives citoyennes visant à réduire les émissions de carbone. « Climate Heroes » a été lancé à la suite de la COP15 de Copenhague, en décembre 2009, alors que le terme « changement climatique » prenait pour la première fois l’importance qu’on lui connaît aujourd’hui. Depuis Maxime Riché avec l’équipe de ce projet font le tour du monde pour aller à la rencontre de ces héros ordinaires du climat.
Autre exemple de campagne destiné au grand public, « Une poignée de degrés » qui a vu le jour à la suite d’une expérience originale menée à la COP 21. Un ouvrage photographique collectif signé Klara Beck, Antoine Bruy, Cyrus Cornut, Charles Delcourt, Tim Franco, Lek Kiatsirikajorn, Olivia Lavergne, Simon Norfolk, Nyani Quarmyne et Sébastien Tixier. Une thématique centrale, celle du réchauffement climatique et en amont, un public qui pouvait répondre à chaque photographie par une autre photographie sur un site internet dédié. Les photographies-réponses ont ensuite été affichées lors d’une exposition. Un ouvrage a repris cette expérience participative accompagnée de textes et poèmes.
« Ce livre est une conversation poétique entre artistes et citoyens«
Conclusion
Comme on l’a vu, il y a de nombreux photographes dont le travail dénonce l’urgence écologique. Ils ont tous un point commun : sensibiliser le public à cette urgence et encourager des changements de comportement et de politique.
Expositions, livres, réseaux sociaux, les photographies aujourd’hui circulent largement et peuvent ainsi toucher des millions de personnes. La viralité a des vertus quand elle permet de rendre les problématiques écologiques accessibles à tous.
L’actualité nous rappelle sans cesse à l’ordre. Les images diffusées fin octobre 2024 sur les inondations et tornades survenues à Valence en Espagne viennent de nous rappeler que plus personne n’est à l’abri des sanctions de la terre quand nous ne nous comportons pas intelligemment avec elle. Ces photographes donnent une leçon de savoir-vivre sur notre planète. Un engagement personnel nécessaire de nos jours.
Et vous qu’en pensez-vous ?