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Capturer la férocité du yachting avec le photographe Gilles Martin-Raget

Imaginez-vous en pleine mer, au milieu du chaos des vagues à essayer d’obtenir le cliché qui capturera l’énergie du moment. C’est le quotidien de Gilles Martin-Raget, photographe reconnu pour ses clichés époustouflants qui capturent l’essence même de la mer et des compétitions nautiques. Gilles a su créer un lien indissociable entre l’art de la photographie et la férocité des courses de bateaux. Avec une carrière riche et diversifiée, il a immortalisé des moments clés de compétitions prestigieuses telles que la Coupe de l’America. Aujourd’hui, il nous partage son expérience, sa passion pour la mer et les secrets derrière ses photographies qui semblent presque défier les éléments.

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The Lady Anne - Yachts classiques ©Gilles Martin-Raget

Vous êtes spécialisé dans la photographie marine et dans les courses comme la Coupe de l’America. Qu’est-ce que vous avez découvert en premier la photo ou la voile ?

Ma passion pour la photographie a débuté à l’adolescence, comme beaucoup d’autres. Mes premiers sujets étaient mes amis. J’habitais à Arles et c’était le démarrage des Rencontres d’Arles : on tombe alors plus facilement dans la photo… Mes débuts se sont déroulés dans ma salle de bain, où je développais mes photos en noir et blanc.

J’ai toujours été intéressé par le métier de journaliste, notamment grâce à des figures comme Tintin reporter. J’ai commencé à naviguer tardivement, à 19 ans seulement et j’ai tout de suite emmené mon appareil photo. À la fac j’ai commencé à faire des compétitions et à travailler pour Voiles et voilier grâce à des reportages sur les épreuves de yachting.

J’ai eu la chance de suivre la Coupe d’Amérique en 1983. C’est l’édition où les Australiens ont gagné pour la première fois, alors que depuis 150 ans, la course était remportée par les Américains. Un événement historique que j’ai eu la chance de capturer alors que j’en étais à mes débuts. J’ai réussi à vendre une photo pour la couverture d’un des plus grands magazines de voile américain : 500 francs (après déduction des frais d’agence). J’ai pensé que je pouvais vivre de ce métier et je m’y suis lancé.

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Voiles de Saint-Tropez 2015, Wally Yachts ©Gilles Martin-Raget

La même année, vous faites partie de l’équipe française en compétition lors la Coupe l’America 1983, et vous êtes reporter photo lors de l’Australia II. Comment votre connaissance de la voile a-t-elle influencé la manière dont vous prenez vos photos ?

Savoir naviguer revêt une importance cruciale, car la photographie de ce sport est complexe.On se retrouve sur un bateau piloté par quelqu’un d’autre, sans aucun contrôle sur des éléments tels que la lumière ou la navigation des bateaux qui font la course. Il est essentiel de prévoir, d’être positionné à l’avant lorsque l’on pressent qu’un événement important va se produire. La connaissance des personnes, du jargon et de la culture qui entourent la voile permet de s’intégrer pleinement dans cet environnement. Il est primordial de tout savoir sur ce qui se passe pour pouvoir être discret et passer inaperçu.

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Imperia (Italie) - Raduno d'Epoca 2010 - Eilean ©Gilles Martin-Raget

Comment obtenez-vous ces compositions très travaillées dans les conditions si particulières de la voile et avec des sujets si mouvants ?

Nous n’avons pas le contrôle sur ce qui se déroule ; notre objectif est de capturer l’émotion ou bien un moment très technique. Il est essentiel de savoir comment se tenir sur un bateau, d’être à l’aise même lorsque les vagues le submergent. Il faut prendre des précautions car nos appareils n’apprécient pas les embruns. Nous utilisons des boîtiers étanches que nous sortons seulement au dernier moment, ou nous les dissimulons sous des vêtements amples pour les protéger.

C’est un travail d’équipe. Nous collaborons étroitement, que ce soit avec le pilote de l’hélicoptère ou le capitaine du bateau. Il est nécessaire de comprendre ce que nous pouvons faire ou ne pas faire pendant la course, notamment en évitant de nous placer devant le bateau en tête ou nous trouver sur la trajectoire des concurrents. La coopération est primordiale.

Nous ne connaissons pas toujours les pilotes, car ce sont les organisateurs de la course qui les recrutent. Cependant, il arrive souvent que les pilotes d’hélicoptère soient les mêmes d’une course à l’autre, ce qui facilite la communication. Étant donné que les courses se déroulent sur plusieurs mois, nous apprenons à mieux cerner nos besoins. Je leur montre comment je travaille, que ce soit avec des objectifs grand angle ou des téléobjectifs, afin qu’ils s’adaptent et se rapprochent plus ou moins.

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Altaïr - Grandes goélettes - Yachts classiques ©Gilles Martin-Raget

Avez-vous un équipement particulier ou des techniques spécifiques pour photographier en environnement marin ?

J’ai travaillé avec divers appareils photo, de Nikon à Leica, en passant par Canon. L’avènement des téléobjectifs à autofocus a révolutionné notre métier en simplifiant considérablement la mise au point, notamment sur un bateau où l’utilisation d’un trépied est limitée. Canon a toujours été leader en photographie sportive, et nous avons progressivement eu accès à des téléobjectifs de haute qualité, que nous n’avons pas quittés depuis.

Les objectifs ont évolué, passant du 300 mm au 600 mm, avec des zooms multipliés ou doublés. Cela nous permet d’explorer différentes perspectives et de photographier les équipages de près, car l’aspect humain est crucial.

Notre matériel est sensible à la pluie, mais il s’est amélioré au fil du temps, bien que j’aie une collection de boîtiers rongés par la corrosion chez moi. Autrefois, nous renouvelions notre équipement tous les deux ans, mais mon dernier boîtier date de 2018.

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Shenandoah dans les canaux de Patagonie ©Gilles Martin-Raget

J’ai débuté avec la photographie argentique en utilisant des films Kodakchrome. Ensuite, les films Fuji Velvia légèrement teintés de rouge ont pris le relais, parfaits pour la photographie en mer. J’ai utilisé des films jusqu’en 2005, date à laquelle je suis passé à la photographie numérique, une révolution économique pour les photographes professionnels de sport.

L’avènement d’Internet a transformé la diffusion et la commercialisation de nos photos, réduisant le nombre de photographes indépendants. Les réseaux sociaux ont également changé la donne : la plupart des photographes ne sont pas rémunérés aujourd’hui. Cela m’a appris l’humilité de voir que tout le monde pouvait faire des photos et m’a poussé à explorer de nouvelles compétences, comme la vidéo et le drone, pour rester compétitif.

Aujourd’hui, le rôle du photographe s’étend du développement à la vidéo, en passant par le partage, avec des délais serrés pour envoyer nos clichés. On n’a plus le temps de boire un coup avec les équipages. C’est souvent à nous, les photographes, de fermer les salles de presse.

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Descente sous spis à la Maxi Rolex Cup à Porto Cervo (Italie) ©Gilles Martin-Raget

L’arrivée des drones a-t-elle bousculé votre pratique ?

Actuellement, les drones sont complémentaires des hélicoptères. Mais ils doivent être lancés et surveillés depuis un bateau, ce qui peut être compliqué, et ils nécessitent des conditions météorologiques calmes, ce qui n’est pas toujours compatible avec le yachting où le vent peut être fort. Néanmoins, ils sont plus faciles à utiliser et moins coûteux que les hélicoptères, gagnant en popularité pour des raisons environnementales et pratiques. À l’avenir, les drones pourraient dominer la photographie sportive.

Les dernières avancées technologiques se concentrent sur les stabilisateurs et la vidéo. Les nouveaux drones répondent mieux aux besoins des photographes, offrant des captures plus diverses que les simples images grand angle.

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Port Camargue - Monocoques IMOCA - Vendée Gobe 2008 - Kito de Pavant (Groupe Bel) ©Gilles Martin-Raget

Pourriez-vous décrire votre approche du post-traitement et l’organisation de votre travail en tant que photographe ?

Mon processus de post-traitement est assez minimaliste. Je travaille en RAW, puis je réalise une édition rapide sur une sélection que je traite en JPG, en y ajoutant des informations IPTC. J’utilise principalement le mode automatique, ce qui garantit une exposition optimale.

En ce qui concerne la photographie en mer, l’horizon est toujours en ligne de mire. La première correction à apporter est de veiller à ce que l’horizon soit droit, en se basant sur la mer comme référence. Ensuite, je peux éventuellement effectuer un recadrage ou corriger une ombre cramée, mais c’est à peu près tout.

Je procède ensuite à l’exportation en JPG en utilisant la taille maximale. Ensuite, je redimensionne les images pour les adapter à une utilisation sur Internet.

Je passe mon temps à retailler. Cette course aux millions de pixels est inutile, car elle conduit souvent à devoir réduire les images.

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Cowes (UK) - The 1851 Cup - BMW ORACLE Racing - Round The Island Race - From Ste Catherine to the Needles ©Gilles Martin-Raget

Vous parlez souvent au pluriel, vous avez une équipe ?

J’ai eu un assistant, au départ non photographe mais ingénieur de formation, à qui j’ai recommandé de se familiariser avec la photographie numérique s’il souhaitait devenir photographe. Il a travaillé avec moi pendant 20 ans. Il a travaillé avec les Américains. Étant donné notre similitude de travail, nous avons décidé de nous spécialiser, et il s’est orienté vers la vidéo.

Nous collaborons étroitement, partageant quasiment la même vision, et pouvons utiliser le même équipement, grâce aux avancées technologiques permettant de filmer avec des appareils photo. La vidéo est désormais plus accessible, avec des logiciels de montage accessibles, ce qui nous a permis de répondre aux demandes de nos clients et de diversifier nos activités.

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Marseille - La rade Sud ©Gilles Martin-Raget

Vous avez fait du photojournalisme votre métier. Quels conseils donneriez-vous à un jeune photographe qui se lance ?

Investissez dans la vidéo, car je crois que les images fixes seront désormais issues des im mobiles. Vous pouvez déjà créer des couvertures de magazines ou des doubles pages à partir de vidéos. L’essentiel est de maîtriser tous ces supports. L’utilisation d’un drone dépend de votre domaine d’activité. En ville ou en extérieur, cela peut varier.

« Apprenez à vous vendre et à trouver des clients »

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Portsmouth (Angleterre), 35th America's Cup, Louis Vuitton America's Cup World Series Portsmouth 2015, ORACLE TEAM USA © ACEA 2015 / Photo Gilles Martin-Rachet

Personnellement, j’ai toujours été sollicité et on m’a proposé du travail. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j’ai des clients depuis 25 ans.

Le réseau de relations est essentiel. Apprenez à négocier avec vos clients. Certains photographes sont trop rigides sur leurs droits, mais en étant plus flexible sur certains aspects, vous pouvez gagner plus ailleurs.

Les débouchés ont évolué. Avant, il y avait la presse, l’édition, la publicité et l’événementiel. Aujourd’hui, vendre des photos à la presse peut être difficile, mais il y a toujours de la demande en publicité et en événementiel pour gagner sa vie.

Faites des rencontres. Mon début de carrière a été le résultat d’une rencontre qui m’a donné l’opportunité de travailler, et ils m’ont gardé. La vie est comme un labyrinthe. Vous êtes face à une porte, quelqu’un l’ouvrira pour vous, vous conduisant vers d’autres opportunités. Je peux identifier les 10 personnes qui m’ont ouvert des portes et qui m’ont permis de travailler pendant des années.

Parfois, c’est un simple coup de téléphone au beau milieu de la nuit. J’ai ainsi travaillé pendant plus de 10 ans pour les équipes de Larry Ellison d’Oracle, qui avait une écurie de course. Alors que l’America’s Cup se déroulait en Europe, ils cherchaient un photographe. Quelqu’un avec qui j’avais déjà travaillé a transmis mon numéro à la personne recherchée, et c’est ainsi que tout a commencé.

Cette interview vous inspire ?

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GunBoat ©Gilles Martin-Raget

Vous travaillez pour des constructeurs de bateaux comme Outremer. Comment travaille-t-on quand on a la contrainte de la commande?

Lorsque les chantiers navals lancent un nouveau modèle, ils ont besoin de photos pour leur communication. Nous devons réaliser des prises de vue en l’espace de 2 à 3 jours. Nous recevons une liste de tout ce dont ils ont besoin : le bateau avec toutes les voiles déployées, l’équipage confortablement installé, ou encore le bateau au port dans un cadre idyllique. Il faut gérer une petite équipe, mais après cela, ça me laisse une grande liberté créative.

Le client voit le résultat final, mais il ne sait pas nécessairement comment nous l’avons obtenu. Il ne sait pas à quelle heure la lumière sera la meilleure pour la prise de vue, ni quand il faut faire appel à l’hélicoptère. Ces conditions de photographie sont exceptionnelles, d’autant plus que nous évoluons dans des endroits magnifiques. Nous créons des images qui font rêver. En quelque sorte, nous photographions notre propre croisière. Les principales contraintes sont liées au temps et à la météo, avec lesquels nous jonglons toute la journée.

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Arles - Reine d'Arles et ses demoiselles d'honneur ©Gilles Martin-Raget

L’obligation de résultat peut être stressante dans la publicité, mais pour moi, la photographie de commande est un symbole de réussite. Tout le monde peut prendre des photos, mais lorsque quelqu’un vous confie son budget, c’est un signe de confiance. J’admirais Frédéric Alain, l’un des premiers à travailler en téléobjectif, qui collaborait avec les chantiers Beneteau l’un des plus grands en France voire dans le monde. Ce type de travail était réservé à certains photographes à mes yeux. Donc, lorsque le chantier m’a contacté, j’ai été extrêmement honoré. De plus, c’est le travail le plus rémunérateur.

Lorsqu’un éditeur vous fait confiance pour créer un livre, c’est aussi un signe de confiance important. Créer quelque chose à partir de rien, avec un auteur et un maquettiste, est une partie très agréable de notre métier. Mon meilleur souvenir de livre est l’un de mes premiers, Secret d’Arlésiennes, chez Actes Sud avec Michel Biehn. À l’époque où l’édition était plus florissante, nous avons réalisé un ouvrage sur les Arlésiennes. Ces costumes de famille, portés lors de fêtes, étaient magnifiques. J’ai photographié les Arlésiennes avec la même approche que pour le sport, en utilisant des téléobjectifs et en portant une grande attention aux détails. Cela a apporté une nouvelle perspective au genre. C’était magnifique, et c’est aujourd’hui mon livre préféré parmi les 35 que j’ai eu la chance de réaliser.

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Valencia Louis Vuitton Act 4 & 5 - Fleet Race 1 ©Gilles Martin-Raget

Qu’est-ce qui continue de vous inspirer ? Quels sont les prochains projets qui vous enthousiasment ?

J’aimerais poursuivre ce que je fais depuis 40 ans, mais je ressens les contraintes liées à l’âge. Les bateaux deviennent de plus en plus rapides et difficiles à suivre, même avec un bateau à moteur. C’est devenu comme de la course automobile : on les attend à un point fixe, puis l’équipage passe. à toute vitesse. Ils sont casqués, cachés dans leur cabine et réalisent de moins en moins de manœuvres, ce qui limite les opportunités de faire une bonne photo.

J’ai toujours l’envie de suivre des événements tels que la Coupe de l’America, et d’explorer de nouvelles perspectives avec les drones. Ils offrent des possibilités passionnantes notamment parce que l’on a plus besoin de se synchroniser avec un pilote tiers, comme avec les hélicoptères.

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Course des Phares 2002 - Calais ©Gilles Martin-Raget

J’aimerais également couvrir les Jeux olympiques à Marseille, où l’intensité des épreuves génère toujours des moments captivants, notamment lors de la remise des médailles.

Il y a aussi le Vendée Globe, mais les skippers prennent des risques considérables pour cette course. J’ai connu deux ou trois skippers qui ont eu de gros accidents. Cela crée une atmosphère d’enterrement au départ des bateaux. Mais les arrivées sont toujours incroyables et restent parmi mes moments préférés. Je suis toujours prêt à vivre ces moments uniques.

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Lorient - Vendée Globe 2008 - Foncia - Michel Desjoyeaux ©Gilles Martin-Raget

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Crédit photo: © Gilles Martin-Raget

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Team CYME
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