Comment le sourire est-il devenu incontournable en photographie ? Sourire, on le sait, est une expression faciale qui met en lumière un état d’esprit heureux, une ouverture bienveillante au monde de notre part. Il se destine à créer du lien, en attirant un courant de sympathie, à abolir les distances et instaurer un climat de confiance en provoquant naturellement l’empathie. Mais les sourires, il en existe de toutes sortes : des niais, des éblouissants et lumineux, des « en coin », des nerveux, des narquois, des mystérieux, des mystiques, des manipulateurs et des trompeurs, des marketings, des chaleureux, des implicites et des ambigus,… bref, le sourire laisse filtrer en réalité une sacrée palette d’émotions et plutôt contradictoires.
Alors pourquoi le sourire est l’expression la plus utilisée quand on prend la pose devant un appareil photo ou un selfie ? Est-ce la meilleure représentation de soi ? Est-il censé résumer notre moi du moment ? Petite histoire sur une parade bien plus complexe qu’il n’y parait.
L' Art du sourire
À l’exception du sourire très doux de l’ange de la Cathédrale de Reims qui date de 1240, le sourire dans l’art n’était pas très fréquent au cours des siècles précédents. Sa présence dans la peinture ou la sculpture est même jugée scandaleuse car elle transgresse les conventions sociales. L’historien britannique Colin Jones explique qu’il était de bon ton de maîtriser son corps et ses émotions. L’art n’en est que le reflet. Bien sûr, l’hygiène déficiente de la dentition suggérait aussi des portraits à la bouche bien fermée car 30 ans rimaient fréquemment avec dents gâtés !
Il faudra attendre le XVIe siècle avec Antonello de Messine qui peint un marin au sourire grimaçant et surtout Léonard de Vinci, quelques années plus tard, avec La Joconde et son sourire énigmatique. Et c’est une grande première. Le musée de Cefalù en Sicile, où est présentée l’œuvre de Messine, mentionne d’ailleurs qu’il s’agit de la deuxième représentation au monde du sourire dans un portrait peint (bien qu’il soit antérieur à La Joconde). En s’affichant ainsi à cette époque le sourire témoigne aussi d’une modification dans les comportements en société.
Cette « marque de satisfaction intérieure » comme la définit Diderot et d’Alembert dans leur Encyclopédie s’affiche encore timidement aux XVIIe et XVIIIe siècles. Remercions surtout la prophylaxie dentaire née au XIXe siècle pour voir apparaître de véritables sourires aux dents blanches !
« Cheese, oustiti, sexy et sourire Gibbs »
Les sourires de Olly Gibbs...
L’artiste londonien Olly Gibbs a réalisé un travail photographique où le sourire devient l’élément capital de sa création. Grâce à l’application FaceApp, il décide de rendre le sourire à tous les tableaux ou sculptures à tendance dépressive. Le résultat est joyeux à souhait et redonne la banane aux plus mélancoliques portraits flamands !
...ou ceux de BeenyVD
Le photographe Beeny VD propose un travail super feel good en proposant de mettre son talent de photographe pro au service des gens de la rue. « Je me suis dit que ça pourrait être pas mal d’aller dans la rue et redonner un peu le sourire aux gens. » Vincent alias Beeny VD, boitier en bandoulière, sillonne donc les villes et interpelle les gens dans les parcs, les abribus ou les files d’attente pour leur proposer un cliché d’eux avec le sourire. Et ça marche car tout le monde se prête au jeu du bonheur affiché et immortalisé par un pro.
Le phénomène « selfie »
L’arrivée des réseaux sociaux a suscité une mise en avant de notre vie et de nos activités de manière phénoménale. Tout naturellement la photo est venue s’intégrer dans cette loupe XXL de notre vie. Facebook, Instagram ou Snapchat relayent nuit et jour les états d’âme, les habitudes ou les situations et l’autoportrait s’est naturellement imposé dans ce débordement continu d’informations. La prise de vue de soi toujours flatteuse, inspirante, en groupe ou en close-up, a constitué une véritable révolution dans notre société et dans notre rapport à l’autre. Influenceur(ses), hommes politiques, artistes, même le Pape François se sont mis au selfie. L’égo-portrait est donc rapidement devenu un outil marketing où les marques se bousculent au portillon du moindre influenceur(ses). Le sourire en selfie est même devenu un mode de paiement sécurisé pour Amazon. Là aussi les apps qui façonnent le « selfie » sont pléthoriques et plutôt bien faites : animations, retouches en mode chirurgie esthétique, apports ludiques pour personnaliser ses selfies.
Acte narcissique le « selfie » ? Certes mais pas que. C’est réaliser bien sûr une photo de soi-même, c’est à dire se mettre en scène en retournant l’appareil vers soi, donc dos au monde, mais c’est aussi pour partager, créer du lien, de l’échange, du commentaire, du « like » et témoigner également d’une identité communautaire, comme par exemple afficher une appartenance à un parti ou un club de foot. Il existe, selon Pauline Escande-Gauquié, maître de conférences à l’Université Paris Sorbonne CELSA, une fascination du selfie car il crée un jeu de regard totalement inédit : Je me regarde, tu me regardes et je te regarde me regarder. C’est donc un acte de sociabilité qui souligne que le fait que si l’on me regarde j’existe. Le selfie permet donc un jeu très important dans la construction identitaire mais aussi collective et le sourire fait partie du combo gagnant.
Vous êtes Duck face ou Sparrow face ?
Si le sourire « selfie » était le pass obligatoire aux « like », d’autres expressions viennent chahuter cette bonne vieille expression du bonheur. Exit donc le sourire considéré un poil ringard, place au Duck face, la mimique qui consiste à serrer et avancer les lèvres tout en creusant les joues.
Mais faites vite car ce Duck Face est en passe d’être détrôné lui aussi par le Sparrow face (visage de moineau), dernière petite révolution venue du Japon qui consiste, là, à ouvrir les yeux en grand ainsi que la bouche, comme un oisillon attendant la becquée, le tout accompagné d’un V de la victoire.
Le dernier mood made in XXIe siècle
Il semblerait donc que le sourire ces derniers temps a du plomb dans l’aile et qu’il soit même un peu ringard et pas que pour les « selfie ». Dernière tendance, celle du visage fermé et impassible. Pour preuve la moue de la célèbre journaliste de mode Ana Wintour qui ne décroche plus de sourires depuis fort longtemps lors des défilés de la « fashion week ».
Quelle interprétation doit-on tirer de ce changement radical d’expressions faciales face à l’objectif ?
Contre coup de la banalité du sourire sur les clichés ?
Version distanciée et étudiée face au monde qui nous entoure ?
Témoignage d’une nouvelle posture sociale ?
Question ouverte…
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