La perception que nous avons du monde et que l’on restitue dans un travail photographique est initiée par l’inspiration qui nous anime. Mais en vérité de quoi est constituée notre inspiration ?
Histoire d’un processus créatif
Quand nous décidons de déclencher notre appareil, ce geste, a priori anodin, est-il guidé par notre bagage culturel, par des archétypes communs à chacun de nous ? Est-ce une référence inconsciente ou consciente de quelque chose que nous avons déjà vu, qui nous a séduit et que nous voulons reproduire ? Comme la pose d’un danseur de Pina Bausch ou d’un personnage de Leonard de Vinci ? Une scène de rue de Edward Hooper, un portrait en ombre et lumière du peintre Zurbaran ou du photographe Richard Avedon ? Une fleur de Robert Mapplethorpe aperçue en couverture d’un magazine d’art ?
La réinterprétation d’une œuvre originale serait-elle un plagiat ? Inspirer est-ce copier ? A partir de quels éléments l’inspiration est-elle considérée comme une contrefaçon ? La frontière est parfois délicate à saisir. L’histoire de la photographie et de l’art montre à quel point l’imaginaire des artistes se nourrit les uns des autres. « L’idée d’originalité totale doit être rejetée, personne n’est capable de créer quelque chose à partir de rien, même dans l’œuvre la moins influencée par l’extérieur », explique le chilien Juan Pablo Klenner, spécialiste des droits d’auteurs en matière d’architecture.
Qu’est-ce qu’un plagiat ?
Que dit la loi ? Un plagiat est une faute d’ordre moral, civil ou commercial, qui peut être sanctionnée pénalement. Il est souvent assimilé à un vol immatériel, c’est-à-dire à celui qui s’approprie indûment ou frauduleusement tout ou partie d’une œuvre littéraire, technique ou artistique. Certains même l’étendent à un style, à des idées ou à des faits.
En droit français, le terme employé est la contrefaçon.
Les plagiats ont existé de tout temps. Si l’on se réfère au secteur musical, on pense à celui de Pharell William pour Happy à partir d’une partition de Marvin Gaye, celui de Prince pour The Most beautiful Girl in the word, de Kurt Cobain pour As comme you are ou de Led Zeppelin pour Stairway to Heaven.
En littérature les plagiats sont également légion, Montaigne a plagié Plutarque et Molière, quant à lui, s’est fortement inspiré d’un comique latin appelé Plaute (-2e siècle av JC) pour sa pièce de l’Avare !
Simple inspiration, hommage ou contrefaçon ?
L’inspiration, nous l’avons compris, est guidée par nos références, nos rencontres, nos études, notre enfance ou notre vie quotidienne. Ainsi la photographe culinaire Aimee Twigger est autant inspirée par Vermeer que par la nature. Ou encore Noémia Prada, qui excèle dans la photo en noir et blanc, trouve son inspiration dans la musique et son monde intérieur. Ce qui distingue le plagiat d’une œuvre originale est son degré d’inspiration. L’importance de l’emprunt va permettre de considérer s’il s’agit d’une inspiration qui s’appuie sur les tendances ou l’air du temps, d’un hommage appuyé clairement explicite ou la copie pure et simple sans aucune mention de l’œuvre originale.
Une œuvre influencée par le travail des autres mais avec une véritable valeur ajoutée
L’inspiration est fondée sur un imaginaire qui vient à nous mais qui repose la plupart du temps sur des éléments existants restés en notre mémoire. Nous sommes tous pétris de multiples influences. La qualité d’un travail photographique est donc soulignée par les références sur lesquelles s’appuient la création, majorée d’un élément qui va apporter une nouvelle dimension à l’œuvre que je nommerai valeur ajoutée.
Le photographe propose sa vision, sa propre lecture qui va bien plus loin que celle dont il s’est inspirée. L’emprunt a servi de tremplin pour mieux rebondir et présenter une autre pensée,
une toute autre proposition artistique. Photographe, peintre, sculpteur, danseur, auteur, tous empruntent pour sublimer leur propre langage artistique.
Le peintre Djamel Tatah, par exemple, s’inspire parfois d’une photographie, d’un mouvement, d’un regard, pour venir l’intégrer dans son univers figuratif. Au regard de la création de Tatah, la référence, tout en étant clairement explicite, est appréciée comme un clin d’œil mais ne remet pas en doute la création contemporaine considérée comme une valeur artistique distincte de l’œuvre originale.
La posture de l’homme allongé dans l’œuvre de Djamel Tatah est la réplique de celle peinte par Edouard Manet et c’est parfaitement intentionnel. La ressemblance est tellement troublante que l’on saisit tout de suite la référence qu’il nous propose mais son interprétation est si puissante que c’est son univers, son empreinte artistique, celle de Djamel Tatah, qui jaillit de la toile et non son emprunt.
Deuxième exemple où l’emprunt est fait, cette fois-ci, à un photographe. Les suites de mouvements du photographe Muybridge mises en valeur par Djamel Tatah à travers une série picturale, succession longiligne d’une même tête. Là encore, le sujet importé dans l’univers contemporain du peintre est perçu comme un rappel à ce travail de décomposition, assorti d’une vision très particulière de l’artiste plasticien et qui, au final, présente une œuvre très différente de celle dont il s’est inspirée.
Une œuvre dérivée d’une œuvre préexistante
Parfois l’emprunt à l’œuvre préexistante est volontairement affiché et avoué. Il constitue même le point départ du processus créatif, comme une sorte de référence permanente à l’auteur de l’original, voire même un hommage à celui-ci.
Le travail de Richard Tuschman en est un bel exemple. Il réalise en photographie, la copie parfaite des tableaux d’Edward Hooper. Tuschman n’apporte en réalité qu’une technique mais en aucun cas l’inspiration de la scène ou du modèle. Il s’agit là d’une transposition photographique de plusieurs peintures, étudiées dans ses moindres détails et qu’il a intitulé « Hooper Méditations ». L’hommage est, là, tout à fait avéré.
Copie exacte : une reproduction
Le manque d’inspiration suscite le plagiat du travail des autres. Il s’avère que ce sont souvent des agences travaillant pour des célèbres marques qui se réapproprient la création d’un artiste et qu’elles le font sans mentionner l’auteur. Quand le plagiat est révélé, la plainte en justice est une suite logique, notamment en France, où les droits d’auteurs sont particulièrement bien défendus.
Ce fut le cas pour le procès intenté par les héritiers de Jeanloup Sieff contre la société Dolce & Gabbana ayant utilisé une photographie réalisée pour une campagne d’Yves Saint Laurent.
La ressemblance existante entre les deux photos concernait notamment plusieurs aspects.
La nudité d’un homme beau et jeune, le port d’une paire de lunettes, la pose assise, l’éclairage et l’expression du modèle, ont été considérés comme un plagiat.
En 2007, le photographe William Klein accuse également le styliste John Galliano de l’avoir plagié pour une campagne publicitaire, en utilisant la technique des planches contacts annotées et agrandies. La cour a considéré que ce qui définissent l’originalité de l’œuvre, en l’espèce ces planches contacts peintes, ne peuvent être empruntés à l’artiste sous peine de contrefaçon.
Même cas pour le photographe Marc Lamey pour son portrait de femme plagié par un autre photographe qui s’est approprié l’idée de sa composition sans mentionner sa source d’inspiration. Un cas français bien connu présenté par l’avocate qui a défendu l’affaire, Joëlle Verbrugge, dans un article en ligne.
Signature photographique : la bonne pratique
Le problème est résolu lorsque le travail photographique d’un auteur est remarquable au sens propre du terme. Il est reconnaissable. Un type de lumières, une récurrence de certains sujets, une technique de développement particulière, une texture photographique, tous ces éléments caractéristiques lorsqu’ils deviennent répétitifs, seuls ou assemblés, constituent véritablement la signature photographique d’un auteur.
Il arrive que de grands photographes ont une inspiration teintée par une référence, comme les peintres ou les sculpteurs aiment à travailler un même sujet mais l’œuvre, au final, se révèle si éloignée et l’interprétation si personnelle qu’elle ne peut être considérée comme un plagiat.
Chaque artiste possède sa signature artistique : texture et couleurs pour les silhouettes féminines de Sarah Moon, extrême densité des noir et blanc avec une optique grand angle pour Jeanloup Sieff, poésie épurée d’un verre posé sur un table par Josef Sudek avec cette empreinte sfumato. Tous sont aisément reconnaissables et ce, quel que soit le sujet abordé par ces artistes. Chacun a élaboré un monde pictural très personnel, une empreinte parfaitement identifiable.
A la manière de Magritte, Jérôme Bosch ou Dali ? Vive l’AI !
Aujourd’hui les applications dédiées à l’univers de la photographie sont étonnantes et incroyablement diversifiées. Photoleap ou Aiby-IA art &Photo avatar, par exemple, tirent votre portrait à la manière des grands artistes célèbres, peintres, acteurs de street art ou dessinateurs de mangas… Leurs signatures graphiques sont copiées très fidèlement, de quoi brouiller les cartes et s’emmêler les pinceaux au niveau juridique ! L’intervention de l’intelligence artificielle dans le monde de la photographie va rebattre les cartes et bousculer considérablement la perception que nous avons de la photographie notamment en termes de véracité ou de validité mais cela est une autre histoire qui mérite à elle seule plusieurs articles.
Comment se prémunir de la contrefaçon ?
Il existe une veille sur les réseaux sociaux plutôt performante qui traque la moindre illustration dupliquée. Des alliés précieux pour les photographes qui exposent régulièrement leurs photos sur Facebook, Instagram, et autres applications, citons notamment Tineye.com qui fait le job.
Et vous qu’en pensez-vous ?
Trouvez-vous parfois les photographes trop arc-boutés sur leur territoire, trop procéduriers ?
Face à eux, certains pourraient mentionner leur source d’information, voire même s’excuser de l’emprunt s’il est patent. Une seule règle doit dominer ce questionnement : c’est la part de notre imaginaire, sa conjugaison qui ne cesse de s’enrichir au fur et à mesure de la réflexion, de notre réflexion et qui doit primer en tout point. Il ne s’agit pas de copier mais de raconter, traduire, exposer un sentiment ou une émotion qui nous anime, être interpellé par un sujet qui, même s’il a déjà été évoqué mille et une fois, se révèlera par notre regard tout autre.
Crédit Photos: Lucas Hoang, Kritopher Roller, Djamel Tatah, Muybridge, Richard Tuschman, Jeanloup Sieff, William Klein, Marc Lamey, Arslan, Sarah Moon, Josef Sudek.