Aujourd’hui, nous sommes immergés dans une civilisation où l’image est omniprésente. Cela nous paraît évident de voir surgir des images, de les réaliser nous-même en un seul clic, mais avez-vous une petite idée de comment est née la photographie ?
Par quel processus est issu la photo ? Quels ont été les concepteurs de cette magnifique invention ? Une vague idée ?
Retraçons en quelques grands lignes cette fabuleuse et un peu folle épopée de la photographie.
Le mystère de la chambre noire
Tout d’abord, il faut savoir que c’est la somme de deux sciences, l’optique et la chimie, pour que la photo existe : une chambre noire, la camera obscura, et un révélateur.
Faites l’essai en grandeur nature : imaginez-vous dans une pièce, entièrement close, où vous ne laissez entrer la lumière de la fenêtre que par un tout petit trou. Vous êtes dans le noir. Quelques instants plus tard, vous verrez apparaître une image (celle de votre rue) sur le mur en image inversée. Explication : les rayons lumineux qui pénètrent dans une optique (en l’espèce le petit trou de votre fenêtre) renvoient l’image à l’envers. Notre cerveau, lui, a l’habitude de remettre à l’endroit ce que voient nos yeux, plus pratique. Mais poursuivons l’expérience : si on affiche sur le mur de votre pièce un support chimique spécifique, type chlorure d’argent, alors l’image projetée va s’imprimer, elle va se fixer sur ce support et devient une photographie. Simple non ?
Plongée historique avec Niepce, Daguerre, Fox et Lumière.
Quelques pionniers vont, chacun leur tour, apporter une pierre à l’édifice photographique et venir sophistiquer le procédé. Même si la première camera obscura a, dit-on, vu le jour en 1671, une machine à lumière plus élaborée est imaginée par Nicéphore Niepce en 1816 pour capturer les images. Ces images ont toutefois un défaut : elles s’effacent peu à peu à la lumière du jour. En apportant son concours à Louis-Jacques Daguerre, celui-ci va développer,
En 1838, le principe qui prendra son nom : un positif direct sur plaque de cuivre recouverte d’argent pur et exposé à la lumière. Le daguerréotype voit le jour, c’est une photo mais elle reste non reproductible. Une autre invention suit rapidement la première : une immersion dans une eau saturée de sel va enfin permettre de fixer définitivement l’image. En 1839, on peut dire que le développement photographique est né.
De plus, Cinq ans plus tard, William Henry Fox, met au point le calotype, un négatif intermédiaire qui va permettre enfin la multiplication d’une même image. La photo devient donc reproductible ! Ce principe du négatif-positif sera toujours utilisé et ce, jusqu’à l’arrivée de l’image numérique.
L’arrivée de l’obturateur en 1880 vient sophistiquer le temps de pose et donc la qualité et l’intensité photographiques. Quant à la couleur, après quelques balbutiements autour des 3 couleurs fondamentales, le rouge, le jaune et le bleu, ce sont les frères Auguste et Louis Lumière qui, en 1906, proposeront l’autochrome.
Avec toutes ces formidables inventions, bientôt de nombreux studios de photos vont apparaître à Paris. Il est de bon ton d’aller se faire « tirer le portrait » par ces photographes qui manient la chambre avec dextérité. On pense à Nadar qui immortalise beaucoup de célébrités comme la grande tragédienne Sarah Bernard ou les poètes Rimbaud et Baudelaire ; Gustave Le Gray qui devient le photographe officiel de Louis Napoléon Bonaparte ; Eugène Disdéri qui invente le portrait carte de visite (l’ancêtre du photomaton en quelque sorte) ou encore Emilien Sully, chapelier reconverti photographe et qui se distingue à l’exposition internationale d’Art photographique d’Alger en 1910. Les riches familles industrielles raffolent des portraits photographiques en couple, avec enfants ou en solo. La photographie à la côte car elle se révèle moins gourmande et plus rapide qu’une peinture.
Dans le chariot des pionniers
La moitié du XIXe siècle est caractérisée par le goût de la découverte notamment des nations, des peuples, des sites ou des paysages. Malgré la lourdeur et l’encombrement de la technique (chambre, trépied et grands plans films), certains pionniers de la photographie vont devenir ambulants et ne vont pas hésiter à parcourir le monde. La photographie devient l’outil majeur des explorateurs. Citons-en deux.
Edward Shérif Curtis est sans doute le photographe ethnologue le plus exceptionnel. Il réalise avec sa chambre plus de 50 000 clichés sur les tribus indiennes d’Amérique et constituera le patrimoine photographique de ce peuple natif.
A cette époque, les appareils photographiques ne cessent d’évoluer. La modernité de la photographie est soulignée par un délai d’intervention de plus en plus court et qui va, bien sûr, modifier sa relation à l’actualité ou un événement pris sur le vif. Les appareils plus petits, plus maniables avec l’obturateur à volet permettront dès lors une prise de vue instantanée : « On vise, on déclenche ».
Les appareils de l’instantanéité
Ernest Bourgarel*, diplomate français qui traverse le monde à la fin du XIXe siècle (Asie, Moyen Orient, Amérique latine), ambassadeur de France en Colombie de 1895 à 1900, saisit rapidement l’intérêt de la photographie. Il va être un des premiers acheteurs de l’invention de Georges Eastman (Kodak) en 1890, le premier appareil photo portable à pellicule souple (en nitrate de cellulose) qui viendra remplacer les fragiles plaques de verre. La révolution Kodak vient de démarrer.
« L’Eastman Kodak apporte l’instantanéité des appareils, explique Charles Henri Dubail, éditeur et dépositaire du Fonds Bourgarel, Grâce à ce petit appareil, certes pas très performant en termes de qualité d’image, tout devenait possible : prendre quelqu’un qui s’avance vers vous, des hommes armés qui passent. La technique à la chambre qui nécessitait « un train de mule » pour être déplacée et dont le rendu était plus statique et moins vivant, va bientôt péricliter et, avec elle, l’« Ave de paso » (l’oiseau de passage) comme était appelé le photographe ambulant en Amérique Latine à cette époque. »
Le principe du système Kodak ? Eastman a cherché à simplifier les opérations. Il a réduit la séparation entre la prise d’une photographie et la partie laissée au spécialiste, c’est-à-dire le développement des images : « Appuyez sur le bouton, nous faisons le reste » soulignaient les publicités.
*Bourgarel, le Colombien » – Le diplomate français du voyage en Colombie au XIXe siècle, (ediSens, 2017).
La petite boutique vintage de l’instantanéité
Qui se souvient du « Clic clac, merci Kodak »
La marque Kodak, créée voilà 140 ans, est réellement révolutionnaire car elle s’adresse cette fois-ci aux amateurs. Le monde de la photographie se simplifie.
La mémoire de chaque famille ne serait rien sans Kodak. Souvenez-vous des instants partagés de vos parents, immortalisés par les bobines jaunes, l’arrivée des Instamatic avec sa pellicule insérée dans une cartouche puis les petits appareils jaunes en carton créés plus tardivement qui ont fait le bonheur des néophytes et des enfants.
Ce que l’on sait moins c’est que l’inventeur de la photo numérique en 1975 c’est Kodak. Eh oui ! Ils avaient conçu un prototype baptisé « film-less photography » qui affichait une définition de 0,01 megapixel ! Mais hélas, le géant va faire le pire choix stratégique puisqu’il décide de ne pas commercialiser son innovation, de peur de tuer le marché de la pellicule qui domine alors. Kodak va se faire distancer rapidement par Sony, Canon et Fuji. En 2012, c’est le clap de la liquidation.
Polaroid, the freshly baked bun
Voilà aussi un produit qui va véritablement bousculer le monde de la photographie. La société Polaroid met au point un procédé à développement instantané en …1948 ! Etonnant ! Cet appareil tout-en-un est très populaire chez les amateurs qui se l’arrachent malgré le coût un peu onéreux des cartouches. Il est très exploité également par les pros qui l’utilisent en tant que test pour contrôler leur lumière lors de leur shooting, quant aux explorateurs, ils n’hésitent pas à embarquer dans leur sac ce Polaroid, en complément, idéal pour offrir à certaines ethnies lointaines leurs portraits en instantané. Objet quasi magique !
En 2009, Polaroid bascule, lui aussi vers le numérique, le Polaroid Two est créé, un appareil numérique de 5 mégapixels avec imprimante incorporée qui permet de sélectionner la photo que l’on souhaite imprimer. Saluons la dimension économe et frugale mise en avant de cette dernière version numérique, toutefois elle ne rencontre pas le succès auquel on pouvait s’attendre.
Argentique, vous avez dit argentique ?
La photographie argentique ne doit son nom qu’au fait de l’exposition d’une pellicule photosensible à la lumière. Ce film plastique est recouvert d’une émulsion, sorte de gélatine, qui contient précisément des ions d’argent et des ions iode. Pour la chimie on s’arrête là !
Mais en fait, on parle vraiment d’argentique que depuis les années 2000. Savez-vous pourquoi ? Il fallait, en fait, distinguer la photographie traditionnelle, dite argentique, face à la nouvelle, la numérique.
Leica, la grande claque
Retour en arrière, en 1905, un ingénieur allemand invente le négatif 24 x 36 mm. Son idée géniale ? Emprunter au cinéma la pellicule 35 mm mais en la faisant défiler horizontalement, ce qui permet d’augmenter la surface utilisable.
En 1924, la société Leica créée un boîtier compact avec objectif fixe d’une qualité exceptionnelle (lentille Leitz, toujours d’actualité) et sa fameuse pellicule 24 x 36. Une véritable Rolls Royce !
Des modèles simples, légers, robustes qui vont séduire et séduisent encore aujourd’hui plusieurs générations de photographes. Le Leica-M sera l’appareil fétiche de Henri Cartier Bresson, Robert Capa, Robert Doisneau, Edouard Boubat ou Marie-Laure de Decker,…. Depuis 2005, Leica se conjugue en mode numérique. Le M10 étant l’ultime version la plus élaborée mais sans pour autant renoncer à la visée télémétrique. (Attention photo différente Leica M10 et non M9 !)
Du grain au pixel
L’ère du numérique a totalement modifié notre perception de la photographie et son rapport à elle. On ne compte plus nos prises de vues en pensant à nos 36 vues et au prix de la planche contact. On rectifie le cadre ou la luminosité aussitôt puisqu’on visualise instantanément nos œuvres. Avec l’IA une photo floue redevient nette et les applications dédiées à la photo rectifient, redressent, re-colorisent, suppriment un personnage ou proposent un ciel bleu éclatant. Difficile de rater une image même si on sait que plus 80% d’une photographie réussie est dû à l’œil et non à l’outil. Sa diffusion et son archivage très faciles sont également des atouts non négligeables.
En revanche, l’argentique offre une meilleure qualité dans les tirages de grande envergure. Le numérique peine, encore à ce jour, en définition lors des agrandissements.
« Moi je cherche le pixel pour situer la photo dans le temps » explique Olivier Thomas, photographe de reportage, « c’est une sorte de datation de mon travail.
Il y a eu la période du grain, plus ou moins fin, et puis l’arrivée du pixel. Les outils numériques ont leurs qualités et leurs défauts. On ne fait pas une photo aujourd’hui comme on la faisait avec un appareil argentique. Et quand on se sert du numérique pour faire des images à la manière de l’argentique, on commet une grave erreur à mon sens.
Tout comme la vidéo à ses débuts, face au 35 mm, avec ses images qui manquent de précisions et qui offraient une texture particulière, le numérique a ses atouts et il faut précisément jouer avec celles-ci et ne pas tenter d’imiter ce qui a déjà été produit. Et puis, il y a un point qui me paraît essentiel, le numérique invite à la profusion des images, on soigne moins ses clichés et globalement si je fais l’analyse de mon travail entre l’argentique et le numérique, je remarque que le nombre de bonnes photos sur un reportage sont moins nombreuses en numérique qu’avec mon vieux argentique. Cela donne matière à réflexion ».
On l’a compris, ça balance pas mal entre les deux. Le numérique a immensément popularisé la photographie, a fait connaître le travail de photographes talentueux grâce aux réseaux sociaux et aux apps incroyables existantes sur le marché.Pour les nostalgiques, des applications modernes numériques proposent des rendus photographiques des appareils de légende : Instamatic et Polaroid sont désormais proposées par l’application Hipstamatic. Couleurs fanées, contours effilochés tirant vers la surexposition mais ne nous leurrons pas, là on parle de texture vintage, en aucun cas du concept de la photo instantanée.
Quand le numérique aide à plonger dans le passé : l’impression 3D
Et si certains photographes, lassés par le numérique, veulent revenir aux sources de la photographie, le numérique propose aussi une remontée dans le temps. L’impression 3D classique, la technologie FDM (Fused Deposition Modeling) est utilisée pour la reproduction de nombreux accessoires mais côté appareil photo, l’offre est, parait-il, moins performante.
Les modèles les plus reproductibles sont le sténopé (rappelez-vous l’exercice de la chambre et du trou dans la fenêtre). Le site pixelvalley.com vous propose un sténopé numérique à réaliser par vous-même !
Concernant les vrais appareils photos, deux innovations : Il y a l’Open Reflex de Léo Marius, un boîtier en open source compatible avec les optiques Nikon mais qui propose seulement une ouverture unique au 1/60 s et le SLO, créé par Amos Dudley, un compact à focale fixe dont tous les éléments (même l’optique) sont imprimés en plastique.
En conclusion, Après ce tour d’horizon assez vertigineux, que l’on soit amateur de la chambre photographique, encore présente de nos jours, fan de l’argentique ou adepte des nouvelles technos et du numérique, seule dénominateur commun qui ne changera jamais et qui constitue le talent absolu du photographe : votre œil. A bon entendeur salut !
Crédits Photos: Mick Haupt, Kodak Brand,