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Figer l’instant dans l’univers du sport avec la photographe Mine Kasapoglu

Comment photographier le sport? Comment capturer l’instant parfait qui permet de saisir en une image, un millième de seconde, la quintessence de l’effort sportif, entre puissance et solennité? Mine Kasapoglu fait incontestablement partie de ses photographes pour qui la photographie est bien plus qu’un support visuel ou une illustration. À l’image du chasseur, qui attend, terré dans un buisson, des heures avant de pouvoir capturer sa proie, les photographies de Mine sont le résultat d’heures de patience avant de pouvoir saisir l’instant, l’angle, la photo parfaite.

D’athlète de haut niveau à entraîneuse puis photographe sportive, le parcours de Mine témoigne d’une passion d’une vie entière dans ses différentes déclinaisons. A travers son œuvre époustouflante, Mine nous fait voyager en nous permettant de nous immiscer dans une vision du sport qui fait appel à divers prismes artistiques, en convoquant à la fois des éléments puissants comme le jaillissement de l’eau ou en jouant sur des effets stylistiques comme le flou et le net pour mieux mettre en lumière l’isolement physique et mental des sportifs. À l’approche des Jeux Olympiques, CYME en a voulu en savoir plus sur l’expérience, la vision et les outils de la photographe turque Mine Kasapoglu.

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D'athlète à photographe sportive : le parcours atypique de Mine Kasapoglu

Pourriez-vous partager votre parcours et nous expliquer comment vous êtes devenu photographe de sport ? Qu'est-ce qui vous attire le plus dans la photographie de sport ?

J’ai toujours fait du sport. J’ai grandi en faisant à la fois du ski mais aussi en jouant au tennis. J’ai découvert les cours de photographie à l’université. À l’époque, c’était seulement de la photographie en noir et blanc, tout n’était pas encore numérique. Dans la chambre noire, je suis tombée amoureuse des images qui prennent vie. Créer des photos à partir de rien avec la lumière et l’argent, c’était magique. Le sport et la photographie étaient initialement deux passions distinctes dans ma vie mais les deux m’apportaient une joie immense. 

Bien que j’ai étudié et ai été diplômé d’économie à 20 ans, j’ai toujours voulu poursuivre dans la photographie. Mes amis et ma famille me pensait folle, mais j’étais juste déterminée. Regardant en arrière, c’était une décision courageuse et je suis fière de moi plus jeune. Je suis désormais photographe professionnelle depuis 25 ans.

Mon premier vrai boulot était en tant que stagiaire pour le comité d’organisation des Jeux olympiques de Salt Lake. Ce fut une incroyable introduction au monde de la photographie, qui m’a permis de travailler sur toutes sortes de sujets, des sports aux portraits. Nous utilisions encore des pellicules, et je m’occupais donc du tirage, de la numérisation, de la retouche et de l’archivage. Ce fut une expérience d’apprentissage inestimable.

J’ai commencé la photographie sportive à Salt Lake. Après cela, j’ai déménagé à Paris pendant un an pour suivre une école spécialisée dans la photographie sportive. C’était incroyable d’être avec d’autres autant passionnés par la photographie que je l’étais. Les Américains vous gonflent à bloc. “Regarde toi comme tu es incroyable!”. Vous vous habituez à ce genre de discours puis vous venez en France, et on détruit cette confiance en vous. J’ai vraiment du passer outre. J’ai retrouvé ma confiance en moi seulement après. Au début, c’était comme un choc.

« Dans la chambre noire, je suis tombée amoureuse des images qui prennent vie. Créer des photos à partir de rien avec la lumière et l’argent, c’était magique. »

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J’ai fréquenté une école de photographie parce que je n’avais obtenu qu’une mineure dans ce domaine à l’université. Comme le monde se transformait en monde numérique, je voulais améliorer mes compétences digitales. Ensuite, je me suis installée à Istanbul et j’ai travaillé pour des magazines comme Vogue et Elle, en réalisant des portraits.

Mes héros étaient des photographes comme Annie Leibovitz, j’aurais tout de suite dit oui à Vanity Faire pour les photos. J’admirais les portraits puissants de personnes intéressantes. Aujourd’hui, avec l’IA, je donne encore plus de valeur aux vrais portraits.

Quand je suis retournée vivre en Turquie, j’ai arrêté la course. Là où aux Etats-Unis, j’ai appris le snowboarding et je n’ai jamais quitté la montagne. Quand je suis rentrée en Turquie, j’ai commencé à faire de la compétition au niveau national. Lors de ma première année, j’ai fini 3ème. Je me suis dite “Ok, je sais encore faire”. De 2006 à 2010, je faisais toujours de la compétition et j’essayais de pouvoir atteindre les JO afin de représenter la Turquie en snowboard, mais j’étais encore loin de pouvoir me qualifier. A cette période, j’ai équilibré mes activités de photographe pour des magazines et d’autres travaux. Bien que je n’étais pas novice en la matière, j’adorais les Jeux Olympiques et allais à Salt Lake, Athènes, Turin et Pékin. J’ai travaillé sur tout, des photos aux plateaux de cinéma, en faisant tout ce que je pouvais trouver.

En 2010, je suis tombée enceinte donc j’ai arrêté la course et j’entraînais des enfants. Pourtant, à ce moment-là, la sensation du sport me manquait vraiment. J’ai dû faire un choix clair : “Je vais me consacrer uniquement à la photographie sportive parce que c’est ce que j’aime”. Dès que j’ai arrêté la course, je voulais faire des photos de ski et de snowboard et d’hiver parce que c’était là où se trouvait véritablement ma passion. Avant cela, être sur les pistes en montagne était suffisant, mais après avoir arrêté la course, j’avais besoin de quelque chose de plus. J’ai commencé à photographier mes amis et la sélection nationale turque lors des coupes du monde.

De 2010 à 2014, j’ai eu deux bébés et je n’ai gardé que mon emploi à Vogue et les Jeux olympiques, refusant d’autres travaux pour me concentrer sur mon rôle de mère. En 2015, je me suis engagée à fond dans la photographie de sport, voulant être avec les athlètes.

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Pensez-vous que votre expérience sportive a influencé votre vision de la photographie et comment voyez-vous le sport comme un moyen de raconter des histoires à travers vos photos ?

Je pense que les athlètes sentent que je viens du sport. Même si je n’ai jamais eu autant de succès que les athlètes que je photographie, je connais les bases. Je suis toujours du côté de l’athlète. Je ne me préoccupe pas vraiment de ce que les clients ou d’autres personnes pensent de mes photos, mais plutôt des athlètes. Je travaille pour les athlètes, et cela fonctionne également bien avec les clients, car les sponsors veulent travailler avec quelqu’un que les athlètes apprécient.

Mon rêve est de prendre des photos qui épatent les athlètes, en leur donnant l’impression d’être des super-héros. Je me sens comme leur grande sœur, je prends soin d’eux et je gagne leur respect. Ils me confient parfois leurs secrets, et si je ne les vois pas, je vais les voir pour m’assurer qu’ils vont bien.

Je ne suis pas seulement là pour documenter, je me concentre sur le positif. Si un athlète tombe ou n’a pas l’air en forme, je n’enverrai pas cette photo. Je suis un photojournaliste partial, mais de manière positive.

Vous aimez l'interview de Mine ?

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L'oeuvre photographique de Mine Kasapoglu : un véritable hommage à la puissance et l'effort sportifs

Quels sont les défis spécifiques auxquels vous êtes confronté en tant que photographe sportif par rapport à d'autres genres de photographie ? Comment les gérez-vous ?

C’est un travail très physique. Vous transportez tellement d’équipement. J’ai vu une photographe de mariage donner une conférence et dire: « J’utilise le 50 et le 85« . Je me suis demandé à quoi ressemblait son sac. Je dois transporter tellement d’objectifs. Je dois préparer trois appareils photo : un grand angle, un 70-200 et un 400 avec un monopode. Quand vous voyez une photo que j’ai prise, c’est le résultat de sang, de sueur et de larmes. J’ai escaladé une montagne, j’ai attendu deux heures et j’ai pris la photo. C’est physiquement exigeant, il faut donc être en forme physiquement et mentalement.

J’aime ce que Cartier-Bresson a dit : « Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur« . J’essaie de voir avec mon cœur. Lorsque quelque chose me touche, je veux le prendre en photo. Une bonne photo est prise lorsque le sujet et moi sommes en contact pendant un moment. C’est comme si j’étais dans chaque photo avec mon cœur et mes sentiments. Bien sûr, lors d’une prise de vue, toutes les images que je prends n’ont pas cette magie, mais il s’agit de s’échauffer, de sortir l’appareil photo, d’observer ce qui se passe, et puis quelque chose se détache. Quelque chose est différent, quelque chose vous intéresse, comme la façon dont quelqu’un fait quelque chose ou la façon dont les lignes s’assemblent. J’essaie de trouver un bon arrière-plan et quelque chose d’intéressant qui se passe devant. Si vous ouvrez votre cœur et que vous pratiquez beaucoup, votre appareil photo devient une extension de vous-même. Vous connaissez tous les boutons dont vous avez besoin. L’expérience vous permet de réagir rapidement et d’être dans l’instant. Vous ne faites qu’un avec votre équipement.

« J’essaie de voir avec mon cœur. Lorsque quelque chose me touche, je veux le prendre en photo. Une bonne photo est prise lorsque le sujet et moi sommes en contact pendant un moment. »

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Quelle est votre approche pour capturer l'essence du sport et transmettre l'énergie et l'excitation à travers vos photos ?

Je suis une personne positive, surtout en ce qui concerne le sport et les athlètes. Je rayonne d’énergie positive et je pense que c’est pour cela que j’attire plus d’énergie. L’amour que me portent les athlètes y contribue également. Par exemple, un nageur m’a dit un jour : « Quand vous me photographiez, je nage plus vite« . Je me suis dit : « C’est tellement cool !« . Ce genre de commentaires positifs me motive. Lorsqu’ils apprécient mon travail, cela crée un cycle dans lequel nous nous nourrissons mutuellement de notre énergie, ce qui se traduit par de meilleures photos.

Je ne veux jamais photographier quelqu’un qui ne veut pas être photographié. Il faut que ce soit réciproque. Certains athlètes sont devenus mes muses et m’ont permis de devenir un meilleur photographe. Tout comme ils disent qu’ils nagent plus vite, et que ce soit vrai ou non, c’est agréable à entendre.

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Photographier le sport : les enjeux propres au métier et à la technique de Mine

Pouvez-vous nous parler de la planification et de la préparation nécessaires avant un événement sportif majeur ?

Par exemple, je vais photographier le Grand Prix d’Autriche de Formule 1 à la fin du mois. Pour la Formule 1, je regarde Drive to Survive sur Netflix parce qu’il est vraiment important de connaître les personnages. Lorsque je me promène dans le paddock, j’ai besoin de savoir qui est qui et de comprendre leur histoire. Chaque sport devient plus intéressant lorsque vous connaissez les personnages, les histoires, les classements et l’histoire. Il est essentiel de connaître les règles et de regarder quelques photos pour s’inspirer. Cependant, j’essaie de regarder les photos bien avant le jour de la course, car si je les regarde pendant l’événement, je risque de les reproduire sans le vouloir. S’il est bon de s’inspirer, je veux aussi me demander : « Qu’est-ce que je ferais ?« 

Il est particulièrement important de voir quelques images lorsque vous photographiez un sport que vous ne connaissez pas bien. Par exemple, je connais très bien la natation et les mouvements de natation, mais si je devais photographier du judo, je ne connaîtrais pas les bons mouvements. Il est essentiel de connaître les spécificités du sport. Il est très utile de parler à un photographe spécialisé dans ce sport, car il possède des connaissances précieuses. Cependant, il y a aussi un avantage à voir quelque chose pour la première fois, car cela apporte une perspective nouvelle. Par exemple, quelqu’un qui débute dans la photographie de natation pourrait capturer quelque chose d’unique auquel je n’aurais pas pensé. Il y a une certaine magie à voir les choses pour la première fois. Faire la même chose à plusieurs reprises peut conduire à tomber dans un cycle.

J’aime découvrir de nouveaux sports. Cela rend les choses passionnantes. Je pourrais facilement me concentrer sur un seul sport mais j’adore explorer plein de sports différents. J’aime vraiment tous les types de sports.

Cette interview vous inspire ?

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Y a-t-il des aspects spécifiques de la retouche photo que vous trouvez particulièrement cruciaux lors de la post-production d'images sportives ?

Je n’utilise pas de préréglages ; je crée à chaque fois un nouveau montage. Je photographie toujours en format RAW, puis je règle la balance des blancs. Peut-être que des préréglages rendraient mon travail plus cohérent, mais j’aime la flexibilité. Parfois, mes photos ont une teinte bleue, puis je m’en lasse et j’ajoute de la couleur, et de temps en temps, je fais du noir et blanc, mais rarement, même si j’adore ça. 

Je n’ai pas de règles fixes. Je photographie en format RAW parce que cela me donne le plus d’informations possible, ce qui me permet d’ajuster les hautes lumières et d’autres détails puisque j’utilise la lumière naturelle. J’apprécie ce que la prise de vue au format RAW peut faire ressortir d’une image. Je n’utilise pas d’éditions générées par l’IA ou quoi que ce soit de ce genre. Tout au plus, je supprime un poteau à l’arrière-plan, des détritus ou quelques boutons – des retouches mineures de la peau pour que les personnes soient à leur avantage. Dans l’ensemble, la postproduction reste simple.

Organisez-vous vos archives?

Non, vous devriez le voir – il y a une grosse valise de disques durs à la maison, et elle a l’air ridicule maintenant. Chaque année, j’ai au moins cinq disques durs d’un téraoctet, avec des dates étiquetées comme 2021-1, 2021-2, etc. C’est juste une valise pleine de disques durs. Le meilleur de mes livraisons est sur le nuage, donc j’y ai les meilleures photos, mais je n’efface jamais rien de ce que j’ai photographié. Pendant le COVID, j’ai passé en revue toutes mes photos de 2012 à 2020, en commençant par les Jeux olympiques de Londres en 2012. Avec tout le temps dont je disposais, j’ai revu chaque jour à partir de zéro et j’ai fait des montages complètement différents. J’ai trouvé beaucoup de nouvelles photos. Je me suis sentie bien d’avoir tout gardé, car un jour, je pourrai faire la même chose pour les Jeux de Rio en 2016. Peut-être que je ne rééditerai pas tous les événements, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire.

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Quel conseil donneriez-vous à celles et ceux qui souhaitent débuter dans la photographie sportive?

Un conseil ? Trouvez ce qui vous passionne, car si quelque chose vous passionne, il y a de fortes chances que cela passionne aussi les autres. Soyez authentique. Ne copiez pas d’autres photographes de sport, ce n’est pas excitant. Concentrez-vous sur ce qui vous fait vraiment vibrer lorsque vous le voyez. Pour moi, c’est simple : J’aime ces athlètes et je veux les faire ressembler à des dieux. Des arrière-plans simples, des athlètes magnifiques et de petits moments magiques, voilà ce que j’aime. Hier, j’ai pris une photo que je n’arrête pas de regarder. Je vous la montrerais bien, mais elle est énorme – 50 mégaoctets. Vous pouvez voir la vitesse, l’énergie… cela m’excite.

L’enthousiasme est contagieux. Si vous êtes passionné par quelque chose, cela se voit. Même si les autres ne le comprennent pas au début, votre passion les attirera. Par exemple, si quelqu’un aime prendre des photos d’encadrements de portes, cela peut me sembler ennuyeux. Mais s’il explique les couleurs, la signification culturelle et les détails avec passion, je pourrais moi aussi me passionner pour les encadrements de portes. La passion est contagieuse, et l’enthousiasme véritable est ce qui compte le plus.

« Trouvez ce qui vous passionne, car si quelque chose vous passionne, il y a de fortes chances que cela passionne aussi les autres.« 

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Pour en savoir plus et approfondir l’univers photographique et artistique de Mine Kasapoglu, vous pouvez la suivre sur son site internet ou sur son Instagram.

Crédit photo: © Mine Kasapoglu

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